par un homme qui avait déployé quelque énergie, et qui n’était guère qu’un barbare intelligent. Quelle a été, d’un autre côté, la politique de la Russie depuis un siècle, si ce n’est de tendre sans cesse vers Constantinople, de dominer la Turquie par la guerre, par les traités, de travailler à l’affaiblissement progressif de ce malade dont l’empereur Nicolas annonçait la mort prochaine avec l’infaillibilité d’un médecin qui allait employer les remèdes héroïques ? Sait-on à quel moment la question actuelle a pris ses vraies proportions ? Ce n’est pas même peut-être quand le prince Menchikof est allé à Constantinople, c’est le jour où l’on a connu ces conversations de l’empereur Nicolas, disposant déjà en maître, d’une conquête qu’il croyait assurée. Ce jour-là, la lutte a été engagée entre la civilisation européenne et cette puissance menaçante du fanatisme religieux appuyé de la force barbare. Et qu’on l’observe bien, cette politique de la Russie a pu céder à Vienne sur des points qui servaient à désintéresser l’Allemagne ; elle n’a point cédé sur ceux qui désintéressaient l’Europe, et lui offraient la seule garantie derrière laquelle puisse s’abriter sa sécurité. Elle a même montré jusqu’au bout un redoublement de ténacité. La conférence une fois arrivée à cette limite extrême où éclatait l’impuissance de tous les efforts de conciliation, il semble surprenant que la discussion se soit un moment égarée et soit allée se perdre dans l’impasse d’un ajournement indéfini, au lieu d’aller droit au but, c’est-à-dire à la rupture définitive d’une négociation sans résultat. Par là on eût peut-être évité plus d’une difficulté, et dans tous les cas la situation était plus conforme à la réalité des choses. Ce n’est point le parti auquel les membres de la conférence se sont arrêtés.
Quoi qu’il en soit, dans le cours de cette laborieuse et délicate négociation il y a un fait significatif. Pas un instant les représentans de la France, de l’Autriche et de l’Angleterre ne se sont trouvés en dissentiment. Les considérations qu’avaient à faire valoir les agens des puissances engagées déjà dans la guerre ont été soutenues avec une égale force par le ministre de l’empereur François-Joseph, et au dernier moment encore M. de Buol constatait que les propositions dont M. Drouyn de Lhuys avait pris l’initiative au nom des puissances alliées réalisaient les conditions nécessaires à la sécurité de l’Europe, et que les propositions de la Russie étaient inacceptables. Maintenant la situation de l’Autriche, si complètement conforme à celle de la France et de l’Angleterre dans les négociations, sera-t-elle différente sur un autre terrain ? Les dernières propositions de Vienne, dont on a parlé, auxquelles se rattache la retraite de M. Drouyn de Lhuys, sont-elles de nature à délier l’Autriche de ses engagemens, pour n’être point acceptées ? Chacun a naturellement sa version sur ces faits et ces propositions. Voici, pour notre part, celle que nous croyons juste et vraie.
L’Autriche, dans son projet, aurait posé, comme base de la limitation de la puissance russe dans la Mer-Noire, l’état actuel des forces navales du tsar, tenant ainsi pour acquis les résultats de la guerre. Si le gouvernement russe augmentait sa flotte d’un seul bâtiment, chacune des puissances alliées aurait eu le droit de faire entrer immédiatement dans la Mer-Noire un nombre de vaisseaux égal à la moitié de ceux de la Russie. Enfin on assure même qu’il y aurait eu une stipulation particulière qui aurait donné un caractère