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en suspens, et, comme il arrive souvent, l’imprévu s’y mêle, par la retraite du ministre des affaires étrangères de France, survenue peu après le retour de M. Drouyn de Lhuys de Vienne. Or quoi est le sens et quel est le lien de ces incidens ? à quel point les négociations, qui s’achèvent à peine, ont-elles laissé la question ? quel est le caractère réel des dernières propositions de l’Autriche et de sa situation vis-à-vis de l’Angleterre et de la France ? Un seul fait est certain : l’Europe sait aujourd’hui sur quoi la conférence de Vienne a eu à délibérer, quelles propositions se sont trouvées en présence. Elle peut mesurer le terrain, évaluer les prétentions, juger les conditions des puissances et les concessions peu compromettantes de la Russie. Elle peut voir la véritable nature, la signification et la portée de ce débat diplomatique dans les protocoles mêmes que le gouvernement anglais a livrés à la publicité tout récemment.

C’était certainement la lutte politique la plus sérieuse qui pût s’agiter, et la résistance des plénipotentiaires russes, les argumens mêmes dont ils se sont servis, l’obstination de la politique des tsars perçant à travers tout, sont le plus lumineux commentaire de la guerre qui se poursuit. On sait où résidait la difficulté principale de cette négociation. Elle consistait dans la révision du traité du 13 juillet 1841, de façon à relier complètement l’empire ottoman à l’équilibre européen et à mettre fin à la prépondérance russe dans la Mer-Noire. C’est dans ces termes que l’Autriche, l’Angleterre et la France avaient exprimé leur pensée après leur alliance du 2 décembre ; c’est là ce qu’il s’agissait de réaliser, et c’est là ce que les agens de la Russie avaient accepté en principe. Afin d’ôter du reste tout caractère blessant à la combinaison qui pourrait être adoptée, les plénipotentiaires des puissances alliées avaient offert au prince Gortchakof et à M. de Titof, représentans du cabinet de Pétersbourg dans la conférence, de prendre l’initiative de cette combinaison. Après quinze jours passés à attendre des instructions que les agens du tsar n’avaient pas, il s’est trouvé, en fin de compte, que la Russie n’avait rien à proposer pour le moment ; ses propositions ne sont venues que plus tard comme une réponse à celles des autres puissances, et certes l’incompatibilité ne pouvait être plus complète. Dans le fond, quel est le résumé des divergences qui ont éclaté immédiatement ? Sur quels points s’est livré ce combat diplomatique, soutenu par les représentans des gouvernemens alliés et en particulier par M. Drouyn de Lhuys avec une remarquable fermeté ? Les puissances présentaient tout un système d’arrangement fondé sur le principe dont l’adoption était en quelque sorte la raison d’être de la conférence. Les deux bases de ce système étaient que la Porte participerait désormais aux avantages du droit public de l’Europe, que tous les états s’engageaient à respecter et à faire respecter l’intégrité territoriale, et l’indépendance de l’empire ottoman, et en outre que les forces navales de la Russie dans la Mer-Noire ne dépasseraient pas le chiffre de huit vaisseaux ou frégates, plus un nombre proportionné de petits bâtimens. Cette dernière stipulation devait avoir le caractère d’un engagement contractuel entre l’empereur de Russie et le sultan, engagement sanctionné par l’Europe. S’il est une chose remarquable, c’est l’ensemble avec lequel la Russie a repoussé également ces deux propositions, qui n’étaient cependant que la traduction la plus simple