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la naissance du drame lyrique et différente des formes contemporaines appartenait à Choron, notre illustre maître. On nous a répondu, dans un journal spécial et tout dévoué à M. Fétis, qu’il était impossible de lui contester la pensée aussi neuve que féconde des concerts historiques. Il s’agit de bien s’entendre. Dans les exercices publics de l’école de musique classique et religieuse fondée par Alexandre Choron, — exercices qui ont duré depuis 1822 jusqu’en 1830, où l’on voyait tout ce qu’il y avait alors à Paris d’hommes éclairés et curieux de connaître les monumens d’un art aussi mobile que la musique. — on a exécuté des fragmens divers de l’œuvre de Palestrina, plusieurs madrigaux de Gesualdo et de Marenzio, les Cris de Paris de Clément Jennequin, appelé par les contemporains Clément non papa, musicien flamand du XVIe siècle ; la Bataille de Marignan, par le même ; des cantates et des madrigaux de Scarlatti, les duos et les trios de Clari et de Steffani, les psaumes de Marcello, les oratorios de Haendel, l’oratorio de Graün, les cantates de Porpora, etc. Or c’est bien là, ce nous semble, de la musique appartenant à des époques et des pays différens, depuis le XVIe siècle jusqu’à la moitié du XVIIIe, qui se fait remarquer surtout par l’avènement de Gluck. Si Choron n’a pas donné aux exercices publics qui avaient lieu tous les ans dans son école le nom de concerts historiques, il n’en remplissait pas moins les conditions, et c’est à lui encore une fois que revient l’honneur d’avoir fait entrevoir à l’élite du public parisien que la musique avait aussi ses origines et avait déjà vécu plus d’une semaine. Ce qui est tout aussi incontestable, c’est que M. Fétis a développé l’idée de Choron, qu’il l’a fécondée de ses recherches patientes et fructueuses, qu’il a éclairci un grand nombre, de questions importantes et rattaché les différentes formes de l’art à une loi de développement historique qui est le fruit de ses investigations. On voit que nous sommes loin de vouloir amoindrir l’importance des travaux qu’on doit à M. Fétis. Mieux qu’aucun de ses prédécesseurs, M. Fétis a su apprécier le grand fait de la naissance de la modulation qui sépare la tonalité moderne de celle du plain-chant, et, sans vouloir examiner aujourd’hui si M. Fétis n’a pas exagéré une révolution qui n’avait point échappé d’ailleurs au père Martini, il a le mérite incontestable de l’avoir caractérisée par un mot vraiment scientifique, celui d’attraction, qui suppose une série et des fonctions immuables dans les notes de la série, c’est-à-dire de la gamme diatonique.

Le programme du concert historique dirigé par M. Fétis était divisé en trois parties : musique religieuse, musique de chambre et musique de danse. Avant de procéder à l’exécution de ce programme intéressant, M. Fétis a exposé avec une grande facilité de parole des idées qui lui sont familières sur l’essence du beau, qui, pas plus que la vérité, ne saurait être soumis à la variabilité des goûts et des mœurs, et il a opposé cette doctrine à celle du progrès continu, qui est la grande illusion des esprits de notre temps. Peut-être le savant professeur n’a-t-il pas prévu toutes les objections que pourrait soulever sa doctrine spiritualité, qui est celle de Platon et de saint Augustin, si on lui demandait comment il concilie cette inaltérabilité du beau avec la variété intime des formes qui le manifestent dans l’histoire. Le beau, le juste