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été suivies par un grand nombre d’amateurs et n’ont pas manqué d’intérêt. À la deuxième séance, nous avons entendu M. Stockhausen, qui possède une fort belle voix de baryton très aisée, et qui a chanté avec noblesse un air du Paulus de Mendelssohn, d’un style, élevé mais vague ; puis Mme Mattman a exécuté, avec la vigueur qui la caractérise, la sonate pour piano de Beethoven en ut dièse mineur, qui est tout un poème. À la troisième séance, nous avons surtout remarqué le quintette en la de Mozart, pour clarinette, deux violons, alto et violoncelle, qui a été exécuté d’une manière admirable surtout par M. Leroy, virtuose de beaucoup de talent sur un instrument aussi difficile que la clarinette. Le finale de ce beau quintette est plus qu’un souvenir de la Flûte enchantée. Après un quatuor de Weber pour piano, violon, alto et violoncelle, où l’on retrouve le brio et l’élégance chevaleresque de l’immortel auteur d’Euriante et d’Oberon, M. Paulin et Mlle Berg ont chanté avec goût le beau duo d’Armide de Gluck : Aimons-nous, tout nous y convie. Enfin, à la dernière séance, Mme Viardot a chanté avec un grand et beau style un air de Haendel, et Mme Mattman a exécuté une sonate de Beethoven pour piano ; elle a mis dans son jeu énergique une passion qui donne à son beau talent une physionomie particulière.

Il serait injuste d’oublier les séances de musique classique données par Mme Amédée Tardieu, qui est l’une des trois ou quatre femmes artistes qui jouent le mieux du piano à Paris. Son talent, plus gracieux que fort et plus élégant que passionné, est surtout à l’aise dans la musique de Haydn et de Mozart. Les quatre séances qu’elle a données cette année ont été suivies avec empressement par la bonne compagnie, qui a pris sous sa protection Mme Tardieu, connue autrefois sous le nom de Mlle de Malleville.

On voit que ce n’est pas la bonne musique qui nous a manqué cet hiver. Il faut ajouter à ces séances régulières un grand nombre de concerts parmi lesquels nous citerons celui de Mme Abel, pianiste distinguée, qui a exécuté un peu mollement le cinquième concerto en mi bémol pour piano avec accompagnement d’orchestre de Beethoven, et qui a été plus heureuse dans les études de Chopin ; — le concert donné par M. Ravina, pianiste agréable de l’école de M. Herz, et surtout celui donné au bénéfice des pauvres allemands sous la direction de M. Rosenhain. Le programme de ce concert intéressant a commencé par un trio de la composition de M. Rosenhain qui renferme d’excellentes parties, et puis M. Rosenhain a exécuté sur le piano l’adagio d’une sonate de Beethoven avec un feu, une précision et une si grande intelligence de la musique de ce maître inépuisable, qu’on regrette que la modestie de M. Rosenhain, qui est un artiste d’un vrai mérite, l’empêche de se produire plus souvent en public. À ce même concert, nous avons pu entendre et admirer un air spirituel de Sébastien Bach. Quel grand style et quelle profondeur d’accens ! Ah ! messieurs les partisans du progrès continu et universel, que vous seriez étourdis et décontenancés, si vous connaissiez un coin seulement de cet immense génie, de ce forgeron infatigable de formes et de chefs-d’œuvre enfouis qui se nomme Sébastien Bach ! Son œuvre colossal commence à sortir à peine des catacombes où il est enfoui depuis cent ans.

Un autre concert intéressant a été celui donné par M. Tellefsen le 28 mars