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créature qui a obtenu de ses maîtres un brevet de longévité et de succès ! En écoutant ces chœurs qui balbutient, et qui sont encore les meilleurs qu’il y ait à Paris, à côté d’un orchestre incomparable qui n’a pas son égal en Europe, on croirait avoir sous les yeux deux générations d’artistes appartenant à deux civilisations différentes. Le moindre violoniste a plus de talent et de savoir dans son petit doigt que le virtuose qui trône sur la scène de l’Opéra, et qui gagne des sommes fabuleuses. D’où provient cette énorme différence, cet abaissement continu de l’art de chanter d’un côté, en regard des progrès incessans que font toutes les parties de l’exécution musicale ? De l’affaiblissement des études, du triomphe des méthodes expéditives et de cette funeste tendance à vouloir s’occuper de l’expression dramatique avant de posséder le mécanisme de la vocalisation, sans lequel l’artiste ne peut réaliser ses intentions. Pour chanter la musique de M. Verdi par exemple, il suffit d’avoir des poumons et cette énergie vulgaire qui consume en quelques années le souffle qui pourrait vous faire parcourir une longue et brillante carrière. Il y a dans l’organisation actuelle du Conservatoire un vice radical, un défaut d’homogénéité dans la méthode, une précipitation dans les études préparatoires et une si grande faiblesse dans l’autorité, qu’il ne peut rien en sortir de remarquable, si cette institution vieillie n’est pas remaniée de fond en comble. Encore quelques années de ce régime de complaisance, de camaraderie, d’encouragemens faciles et de favoritisme, et nos théâtres lyriques seront obligés d’aller chercher des chanteurs dans je ne sais quel coin du globe.

La société de Sainte-Cécile dirigée autrefois par M. Seghers avec tant d’énergie et de dévouement, que nous avons si souvent encouragée de nos suffrages, est tombée dans le plus grand discrédit. Ce n’est plus cette réunion d’artistes jeunes et ardens qui se proposait de marcher sur les traces de la Société des concerts, en exécutant avec amour les œuvres des grands maîtres et celles de quelques contemporains distingués. L’ambition leur a fait défaut, et M. Barbereau, qui avait accepté le commandement déposé par M. Seghers, a dû y renoncer à son tour, ne voulant pas être le chef d’une réunion de ménétriers qui jouent les contredanses du plus offrant. Nous l’abandonnerons aussi au sort qu’elle a mérité, et nous nous contenterons de parler du concert qu’elle a donné le 17 décembre 1854, où l’on a exécuté avec ensemble une symphonie de M. George Malhias. L’allégro, fort bien dessiné, est d’une instrumentation fine et claire un peu dans la manière de Mozart. Le deuxième morceau, allegretto scherzando, est tout à fait charmant, et nous a paru la partie saillante de cette symphonie, qui révèle un talent distingué. M. George Malhias, l’un des meilleurs élèves de M. Barbereau, qui a déjà formé toute une génération de compositeurs instruits, est aussi un pianiste vigoureux capable, de lutter avec les plus habiles. À la place de la société de Sainte-Cécile, qui n’a pas eu le courage de persévérer dans la bonne voie où M. Seghers l’avait mise, il s’est élevé depuis quelques années une société musicale formée de jeunes artistes du Conservatoire, qui donne quelques espérances. Dirigée avec zèle par M. Pasdeloup, cette réunion d’intrépides conscrits s’est attaquée à toute sorte de musique, exécutant avec autant de bon vouloir et d’entrain les œuvres de Haydn, de Mozart, de Beethoven et des autres maîtres de la symphonie que celles des premiers