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moins tenir à montrer son esprit qu’à mettre en relief les ridicules dont il s’est propose la peinture. S’il compte sur son esprit, s’il manie la raillerie avec ostentation, s’il ne sait pas s’arrêter à temps, s’il entre lui-même en scène, le public demeure froid. Après quelques momens d’une attention soutenue, il écoute d’une oreille distraite. Ce malheur n’est pas arrivé à M. Feuillet. Péril en la demeure, malgré la longueur de l’exposition, n’a pas rencontré un auditoire indifférent ; mais je n’en persiste pas moins à croire que l’auteur fera bien de chercher pour sa pensée une forme plus vive, un style plus rapide. À cette condition, j’ai lieu d’espérer qu’il obtiendra bientôt des spectateurs une sympathie pareille à celle que les lecteurs lui ont témoignée, car c’est un des hommes les plus heureusement doués de la génération nouvelle.

Le Demi-Monde de M. Dumas fils révèle chez le jeune écrivain une aptitude remarquable pour la composition dramatique. Il est hors de doute que ce dernier ouvrage ne mérite pas les mêmes reproches que Diane de Lys, et Diane de Lys, malgré ses défauts, qui frappaient tous les yeux, témoignait déjà d’une incontestable habileté. Tous ceux qui ont bonne mémoire regrettaient à bon droit d’avoir à saluer de trop nombreux souvenirs de famille, souvenirs d’Angèle, souvenirs d’Antony, car cette forme de la piété filiale n’a pas de valeur poétique. Dans le Demi-Monde, M. Dumas fils nous a montré, je le crois du moins, la portée naturelle de ses facultés, sans rien emprunter à son père. Il sait très bien préparer une scène et la développe clairement. Par un privilège bien rare chez les jeunes écrivains, il tire parti de sa pensée sans jamais l’épuiser. En somme, le Demi-Monde est un des meilleurs ouvrages qui aient été représentés depuis longtemps. Cette part faite à la louange, c’est-à-dire à la justice, il convient d’avertir l’auteur qu’il ne se montre pas toujours assez scrupuleux sur le choix de ses bons mots. Qu’il soit spirituel, rien de mieux ; qu’il use largement des dons qu’il a reçus, ce n’est pas moi qui m’en plaindrai : il serait pourtant de bon goût de ne pas produire au théâtre des bons mots qui sont déjà connus depuis quelques années, qui ont égayé les ateliers, et qui sont pour quelques auditeurs au moins de vieilles connaissances. M. Dumas fils me semble assez riche de son propre fonds pour ne rien emprunter à personne et nous égayer par des railleries qui lui appartiennent. L’économie, dont on ne saurait trop vanter les mérites lorsqu’il s’agit de conserver ou d’agrandir un patrimoine, n’est pas de mise dans le domaine intellectuel.

Ce petit compte une fois réglé, une question se présente naturellement, et malgré la sympathie que m’inspire le talent uni à la jeunesse, j’essaierais en vain de l’écarter : est-ce là du talent bien employé ? Ne conviendrait-il pas de chercher des sujets de comédie dans