Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la mort de la poésie ; mais M. Du Camp ne s’arrête pas en si beau chemin. Il a promis, il a juré de régénérer la poésie, il veut tenir son serment. Les fabriques de Lyon, de Rouen et de Mulhouse sont sans doute un thème assez riche, assez fécond pour susciter, pour défrayer plusieurs générations de poètes ; mais l’auteur des Chants modernes rougirait de sa pusillanimité, si, après avoir glorifié l’indienne et la soie brochée, il n’allait pas au-delà. L’hélice a désormais droit de bourgeoisie dans le domaine poétique ; Jacquart passe au rang des demi-dieux : c’est un événement qui n’est pas à négliger. Cette double révolution ne suffit pourtant pas à l’esprit ambitieux de M. Du Camp. Que la science, la science tout entière, devienne vassale de la poésie, et la poésie sera vraiment régénérée, et nous aurons des chants modernes, et le souvenir du passé sera désormais aboli sans retour.

M. Du Camp nous explique très clairement comment la science peut devenir vassale de la poésie. Mon Dieu, rien n’est plus simple, un enfant aurait trouvé cela : le génie s’est toujours rapproché de l’enfance par son ingénuité. Il s’agit de mettre en vers le Cosmos d’Alexandre de Humboldt. L’auteur de ce livre est trop savant pour les gens du monde et trop amoureux de la poésie pour les savans de profession. M. Du Camp conseille à la génération nouvelle de tenter ce que M. A. de Humboldt n’a pas su réaliser, de mettre la science à la portée de tout le monde, non-seulement à la portée des ignorans, mais à la portée même de ceux qui ne veulent pas étudier. Quelle magnifique découverte, quel conseil souverain, quelle miraculeuse invention ! En vérité, je suis confondu quand je lis de telles paroles. Je me demande avec étonnement pourquoi la gloire n’est pas encore venue couronner le nom du révélateur. Si notre génération ne se hâte pas de ranger M. Du Camp parmi les prophètes, elle se placera vis-à-vis de la postérité dans une condition très malheureuse : elle sera flétrie comme ingrate. Je l’engage à réfléchir.

La pensée de M. Du Camp D’offre d’ailleurs rien d’équivoque ; il est impossible de se méprendre sur la portée de ses paroles. Que demande-t-il en effet pour rajeunir la poésie, qui se meurt de vieillesse ? Un poète qui possède la science sans être savant ! Je cite littéralement. Au premier aspect, son vœu peut être pris pour un logogryphe ; mais, pour peu qu’on prenne la peine de l’examiner, on découvre dans ces paroles apocalyptiques un trésor de pénétration. Posséder la science sans être savant, quel admirable privilège ! Vous êtes poète, vous voulez parler d’astronomie, gardez-vous bien d’étudier les mathématiques. La géométrie et l’algèbre flétrissent l’imagination et dessèchent le cœur : c’est une vérité depuis longtemps reconnue. Sans le secours de l’algèbre et de la géométrie, vous courez le danger de ne rien comprendre