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Je ne m’explique pas comment l’Académie, qui est pour Victor Hugo un crime, pour Alfred de Vigny une faiblesse, n’est pas même un péché véniel pour Lamartine. Il est vrai que sa condamnation à l’histoire forcée est une expiation suffisante pour le délit que M. Du Camp a négligé de caractériser.

Quant au reste de l’Académie, c’est un ramas de scélérats que Juvénal et Tacite réunis pour cette tâche difficile ne réussiraient pas à flétrir assez énergiquement. Qui oserait parler du savoir et du talent de MM. Guizot, Thiers et Mignet ? Est-ce qu’ils ont jamais rien compris à l’histoire ? Il n’y a que les Gérontes littéraires pour donner dans une telle bévue ! Est-ce que par hasard MM. Sainte-Bcuve et Ampère connaissent les origines et le développement de notre langue et de notre poésie ? Il n’y a pas un homme de la jeune phalange, pas un homme d’avenir qui consente à se déshonorer par un pareil aveu. Est-ce que MM. Cousin et Villemain connaissent les secrets les plus délicats de l’art d’écrire ? Pour s’égarer dans une telle croyance, il faut porter une douillette de soie puce, et demeurer cloué sur son fauteuil par une goutte obstinée. Quiconque respire à pleins poumons la senteur des bois et l’air vivifiant des montagnes sait à quoi s’en tenir sur ces folles billevesées. La jeune phalange, à qui l’avenir appartient, ne prostitue pas son admiration à ces vaines idoles ; elle réserve ses battemens de mains et son encens pour les génies futurs. Les œuvres accomplies ont à ses yeux un tort immense, c’est de n’être plus à naître, et je m’incline devant ce terrible argument.

Apôtre de l’avenir, M. Du Camp trace résolument la voie nouvelle où la poésie doit entrer, si elle veut se régénérer. Or quelle est cette voie ? Est-ce d’aventure l’étude de l’art antique ou l’étude de l’âme humaine ? Des conseils si vulgaires seraient une honte pour celui qui a maudit toute tradition. Homère, Eschyle et Sophocle ne peuvent rien nous enseigner. Ils ont fait leur temps, et quiconque a la faiblesse de les interroger doit se résigner à l’obscurité. Pour être puissant, pour agir sur son siècle, pour le dominer, écoutez, hommes nouveaux, le parti qu’il faut prendre. La science et l’industrie sont aujourd’hui maîtresses du monde : il s’agit de les détrôner. Voici l’expédient que M. Du Camp vous propose : étudiez le métier de Jacquart, la machine à vapeur, le bateau à hélice ou à aubes, et mettez-vous à la tête de l’industrie. Vous souriez, âmes naïves, et vous demandez ce que la poésie peut gagner dans cet étrange accouplement ! M. Du Camp vous répond qu’il n’y a pas de lutte possible entre la poésie et l’industrie, à moins que la poésie ne consente à célébrer les prodiges opérés par sa rivale. Pour tout homme de bon sens, il est évident qu’un tel conseil, s’il était suivi fidèlement, serait