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par la race anglo-saxonne, on compare les faits relevés de part et d’autre, on reconnaît bientôt que la situation est infiniment plus satisfaisante de l’autre côté de l’Océan. La société, américaine se prête trop souvent sans doute à des excès dans la spéculation, mais elle ne s’accommoderait point de monstrueux abus d’influence comme ceux qui ternissent l’histoire des chemins de fer anglais. En outre le peuple américain a porté plus facilement que nos voisins d’outre-Manche le fardeau résultant de la transformation opérée dans le système de la locomotion. On n’a qu’à prendre, pour en juger, une période bien tranchée et fort active, la période de 1840 à 1850. Durant cet intervalle, l’Angleterre a consacré à ses chemins de 5 à 6 milliards de francs ; mais cette dépense excédait le chiffre de ses ressources disponibles, comme vinrent l’attester les réactions et les tiraillemens de 1845 et des années suivantes. La somme employée par les États-Unis dans le même laps de temps monte à environ 1 milliard 860 millions de francs. Inférieur en lui-même à celui de l’Angleterre, ce chiffre est en réalité supérieur, si on tient compte de la différence existant entre les deux pays sous le rapport du développement de la richesse. Cependant l’Amérique a payé cette somme sans en éprouver le moindre embarras. Le produit des chemins, par rapport au capital qu’ils représentent, est aussi plus élevé aux États-Unis, car l’ensemble des recettes annuelles n’y est guère inférieur que de moitié à l’ensemble des recettes en Angleterre, tandis que chaque mille de railway coûte ici cinq ou six fois plus qu’au-delà de l’Atlantique.

La circulation sur les chemins de fer américains est plus active que sur les chemins anglais, eu égard au chiffre de la population dans les districts traversés. Faut-il croire que l’Yankee, avec ses institutions démocratiques, avec l’immensité ouverte devant lui, doit avoir plus de goût pour le mouvement que le laboureur ou l’ouvrier anglais muré dans son île et attaché à la glèbe ou à la machine ? Cette différence de situation réagit sans aucun doute sur les habitudes privées ; néanmoins le fait signalé tient surtout à une raison plus générale. En Amérique, chaque pas en avant ouvre des sources de richesse ignorées, tandis que sur le territoire de la vieille Albion, le mouvement ne fait que faciliter l’exploitation de ressources connues et en partie exploitées avant l’introduction des railways. Au-devant de soi, l’Américain voit se déployer un horizon bien plus vaste ; l’inconnu même prête un attrait plus grand à la récompense qu’il peut espérer de ses efforts[1]. Aussi est-il incessamment travaillé par d’ardentes aspirations vers des expériences nouvelles. En Angleterre, un élan à la fois vif et soutenu est un fait rare. Les classes qui sont en possession de l’influence sociale tendent volontiers à se renfermer dans le présent, plus préoccupées de la conservation de ce qu’elles

  1. La moyenne du prix des places, si l’on consulte encore ici le prix des voitures de deuxième classe, est beaucoup plus élevée en Angleterre qu’aux États-Unis. On ne saurait fixer la différence à moins de 4 centimes par kilomètre. Il existe en général de l’autre côté du détroit cinq ordres de prix : 1° les trains express, dans lesquels on paie plus cher que dans les autres, et qui sont exclusivement composés de voitures de première classe ; 2° les mêmes voitures dans les trains ordinaires ; 3° les voitures de deuxième classe ; 4° les voitures de troisième classe ; 5° les trains parlementaires.