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En dehors des illusions d’un moment, il y a des causes générales auxquelles on doit attribuer et les déréglemens de la spéculation en fait de chemins de fer et la situation affligeante d’un grand nombre de sociétés. Le système administratif de l’Angleterre, qui ouvrait carrière, dans la formation des compagnies, aux subterfuges les plus éhontés et laissait impunies les fraudes les plus manifestes, ne saurait être à l’abri de tout reproche. S’il est vrai en général que les affaires des particuliers soient conduites avec plus de vigilance que celles des gouvernemens, il est vrai aussi que des œuvres supposant, comme les chemins de fer, la concession de prérogatives exceptionnelles et l’effort collectif d’un grand nombre d’individus ne sont plus des opérations d’un ordre purement privé. Elles exigent dès lors des règles spéciales et de prévoyantes restrictions. Or le régime légal des chemins de fer a été longtemps chez nos voisins l’application complète de la doctrine du laisser faire et du laisser passer. Autant il eût été insensé de vouloir mettre l’industrie sous un joug trop sévère, autant il était mauvais d’abandonner les compagnies aussi absolument à elles-mêmes. Les abus devinrent si nombreux, le besoin d’un frein si frappant, que le gouvernement britannique a été amené par la force des choses à intervenir enfin, quoique d’une façon mal assurée.

Après 1836, on essaya de mettre quelque obstacle à la formation de ces compagnies sans vigueur, comme il en était éclos sous le souffle de l’agiotage. On voulut écarter les souscripteurs notoirement incapables de faire face à leurs engagemens. Une loi exigea donc que le dixième du capital fût effectivement versé avant toute introduction d’instance devant le parlement. Ce chiffre fut malheureusement réduit à 5 pour 100 quelques années plus tard ; mais après les débordemens de. 1845, on revint à la fixation primitive.

En 1840, en 1842, des actes législatifs touchèrent d’un peu plus près à l’exploitation même des lignes. Le ministère du commerce, the Board of trade, fut investi de fonctions de surveillance et de contrôle. Ainsi les chemins de fer sont visités par des officiers du gouvernement avant de pouvoir être mis en exploitation ; l’ouverture peut être différée sur le rapport de ces inspecteurs. Le gouvernement parut disposé à pousser encore plus loin son intervention. Un bill fut présenté à la chambre des communes en 1844, un bill conçu, disons-le, dans des termes excessifs, et qui devait choquer les mœurs administratives de l’Angleterre. Entre vingt clauses destructives de la liberté des compagnies, on réclamait, pour l’état la faculté de réduire les tarifs, d’imposer des amendes, de racheter les lignes au bout de quinze ans, de réglementer les détails de l’exploitation, etc. Cet effort vers une centralisation exagérée fut déjoué par les compagnies au moyen d’une agitation qui remua profondément le monde financier.

Une seule modification vraiment importante resta dans le bill après qu’il eut été mutilé par la chambre des communes, une modification relative aux voyageurs de troisième classe. La taxe établie, au profit du trésor depuis 1832 sur les voyageurs des chemins de fer était la même pour les voitures de toutes classes. De cette façon, tandis qu’elle revenait seulement à 3 1/2 pour 100 aux voyageurs occupant les premières places, elle coûtait 12 1/2 pour 100 à ceux des dernières. L’impôt pesait ainsi beaucoup plus lourdement sur les