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d’une autre ligne, celle de Londres à la splendide cité de Brighton, qui n’est pas non plus une ville d’industrie ou de commerce, éprouvèrent des déceptions analogues. Comme cinq compagnies s’étaient ardemment disputé ce chemin, destiné à conduire l’aristocratie sur la plage qu’elle aime à fréquenter durant la saison des bains de mer, la concurrence avait énormément accru tous les frais préliminaires.

La plus malheureuse des entreprises de cette époque fut le chemin des comtés de l’est. Jamais pourtant on n’avait encore prôné dans d’aussi pompeux prospectus les futurs résultats d’une semblable opération. Après avoir promis d’abord 15 pour 100 aux actionnaires, on ne s’était rabattu qu’avec peine au chiffre de 13 pour 100. Les devis avaient été dressés avec un inexcusable aveuglement. Telle dépense qu’on avait évaluée à 6 millions à peu près monta en réalité à 18 millions. De très longs termes s’étaient écoulés, des termes entraînant des frais de toute sorte, avant qu’on put obtenir l’autorisation parlementaire ; puis l’argent était venu difficilement. On avait rencontré des actionnaires qui refusaient de répondre aux appels de fonds. Le comité des directeurs en fut réduit à menacer soit de suspendre les travaux, soit de poursuivre judiciairement les retardataires, alternative déplorable qui plaçait la compagnie entre deux chances de ruine, car, avec la complexité des procédures anglaises et alors que les actions perdaient plus de 50 pour 100, une contrainte effective était impossible. Un emprunt valait mieux ; il sauva l’avenir, mais aux dépens des premiers souscripteurs.

Trois chemins d’agrément rayonnant autour de Londres, ceux de Blackwall, de Greenwich et de Croydon, dont les deux premiers sortent à peine des murs de la capitale, méritent d’être mentionnés, soit à cause de leur situation même, soit surtout à cause des dépenses fabuleuses qu’ils ont nécessitées. Croirait-on que le railway de Blackwall a coûté 5,340,000 francs par kilomètre ; celui de Greenwich, qui fut le premier chemin où l’on établit le télégraphe électrique, 4,246,000 francs ? Celui de Croydon, plus long que les deux autres d’à peu près moitié 14 kilomètres), et dont la dernière section traverse des terrains moins chers que ceux attenant à la ville de Londres, avait encore exigé une dépense d’environ 1,900,000 francs par kilomètre. Sans doute ces chiffres exceptionnels ne sauraient entrer en ligne de compte lorsqu’on veut se faire, une idée du prix de revient des chemins anglais durant cette première période. Quand un sait cependant que le railway de Londres à Birmingham revient à 826,000 francs par kilomètre, le grand occidental à plus de 879,000 francs, le Brighton à plus de 970,000 francs, on peut dire, quoique sur d’autres lignes la dépense ait été moins forte, que le fait le plus général, le plus frappant de cette époque, c’est le chiffre élevé des prix de construction.

Qu’arriva-t-il néanmoins ? De même que les dépenses avaient dépassé toutes les évaluations, de même les recettes devaient dépasser le plus souvent toutes les espérances. Considérée dans son ensemble, l’œuvre s’annonçait déjà en 1836 sous de favorables auspices, et était de nature à provoquer de nouveaux essais. L’Angleterre avait été d’ailleurs très modérée dans ses efforts ; depuis 1832, on n’avait entrepris que 1,287 kilomètres de chemins de fer, dont 724 kilomètres étaient achevés et livrés au public.