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deux compagnies qui avaient préparé deux projets, et qui ne s’entendirent sur le plan définitif qu’à la fin de l’année 1831. L’importance industrielle de Birmingham, dont la population dépassait le chiffre de cent mille âmes après avoir doublé en un demi-siècle, plaidait singulièrement en faveur de l’œuvre. Armée dès ce moment de 150 machines à vapeur, cette fabrique envoyait sur le port de Londres tous ceux de ses produits qu’elle destinait à l’exportation. Rebuté en 1832 par la chambre des lords, malgré les intérêts qu’il devait satisfaire, le chemin n’obtint qu’en 1833 son acte de naissance en bonne forme. On se mit à l’œuvre presque aussitôt, et les travaux durèrent cinq années. Les devis primitifs, quoique dressés par George Stephenson lui-même, furent outre-passés de plus de moitié. Évalués à un peu plus de 60 millions de francs, la dépense atteignit le chiffre de 148 millions[1]. À la même époque à peu près, on exécutait le chemin appelé le chemin de grande jonction, entre Birmingham et la ligne de Liverpool, dont la première idée avait précédé celle du railway de Birmingham, mais qui avait essuyé à deux reprises les rigueurs de la propriété foncière dans le parlement. Ce chemin était appelé pourtant à rendre les plus grands services aux districts si éminemment commerciaux et manufacturiers qu’il traverse.

Un autre railway, le grand occidental, allant de Londres à Bath et à Bristol, rejeté d’abord comme les autres, vint inaugurer un changement notable, qui consistait dans l’élargissement de la voie ferrée. L’ingénieux était M. Isambard Brunel, fils du constructeur du tunnel de la Tamise, tout aussi entreprenant, mais moins avisé que son père. Son plan, qui fut combattu à outrance par George Stephenson, adversaire juré des Brunel, et dont la réalisation coûta fort cher aux actionnaires, préparait, dans un avenir alors imprévu, quoique prochain, d’invincibles obstacles pour des communications d’une ligue à l’autre. L’uniformité dans la largeur des voies était une des premières conditions à rechercher dans le réseau des chemins de fer.

Une objection d’un genre particulier fut soulevée contre le projet d’un railway entre Londres et Southampton. Parce qu’on ne voyait à Southampton ni un port de commerce comme à Liverpool, ni des fabriques comme à Manchester ou à Birmingham, on s’écriait que les élémens de recettes feraient absolument défaut. Malheureusement pour cette expérience, des erreurs commises dans les devis et des engagemens imprudemment contractés avec des entrepreneurs insolvables, qui abandonnèrent les travaux inachevés, vinrent un moment placer la compagnie dans la situation la plus embarrassante. Non-seulement il fallut procéder à de nouvelles études, mais pour trouver les fonds nécessaires à l’achèvement de l’œuvre, on fut obligé d’émettre de nouvelles actions à moitié prix de leur chiffre nominal. Quand on arriva au terme, grâce au concours d’un ingénieur habile et bien connu en France, M. Locke, on avait dépensé près de 65 millions de francs au lieu de 33 millions, portés dans les programmes originels[2]. Les actionnaires

  1. Voyez The Progress of the nation, par W. Porter, et un écrit anonyme qui eut un certain retentissement en Angleterre il y a douze ou quinze ans, intitulé Railway reform.
  2. History of English Railway, by John Francis.