Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au territoire des peuplades indiennes, et on aura ensuite devant soi le grand désert américain.

Il se trouve des incrédules, même aux États-Unis, qui traitent de chimérique ce projet de conquête dirigée à travers l’inconnu. Les obstacles, il est vrai, ne manqueront pas : on éprouvera des retards, on essuiera des mécomptes et des pertes ; mais l’œuvre doit-elle être réputée impossible ? N’est-ce pas le sort de toutes les choses difficiles et nouvelles d’être d’abord traitées d’impraticables ? Les chemins de fer en seraient au besoin une preuve éclatante. Les Américains du Nord ont d’ailleurs réalisé bien d’autres desseins jugés chimériques. Celui dont il s’agit ne nous parait plus qu’une affaire de temps. Ni l’Yankee ni la locomotive ne cesseront désormais de poursuivre le but indiqué ; un peu plus tôt ou un peu plus tard, ils finiront par l’atteindre. La machine à vapeur qui traîne aujourd’hui à la remorque les rails sur lesquels elle roulera demain, et qui gagne ainsi un terrain qu’elle ne peut plus perdre, atteint chaque jour des points jugés d’abord inaccessibles.

Jamais, on peut le dire, le caractère des Américains du Nord ne s’était montré plus à nu que dans cette audacieuse opération. Voilà bien du reste comment ils ont toujours procédé ! Voilà bien comment ils se sont emparés aussi vite de territoires presque sans bornes ! Ce qu’ils appellent le grand-ouest, the great west, n’échappera point à leurs bras. Aidés par les deux plus puissans instrumens de la civilisation moderne, la locomotive et le télégraphe électrique, ils parviendront certainement à la complote domination des vastes terres que la Providence leur a données en partage.


II. – LES GRANDES LIGNES ANGLAISES. – CRISE ET RESULTATS.

Le développement des voies ferrées en Angleterre, qui remplit une page si importante dans l’histoire industrielle de ce pays, n’y a point suivi la même marche qu’en Amérique. Tandis qu’aux États-Unis le mouvement a tendu à se régulariser aussitôt après les entraînemens des premiers jours, en Angleterre c’est après avoir à l’origine mesuré ses pas avec circonspection qu’on s’est abandonné plus tard à des accès fiévreux et à des soubresauts convulsifs.

L’ère du développement des voies ferrées dans la Grande-Bretagne date de l’ouverture du chemin de Liverpool à Manchester, vers la fin de 1830. Durant une première période qui s’étend jusqu’en 1836, la masse du public semble assez indifférente à la révolution qui s’opère. L’effort du moment se concentre dans la lutte que les compagnies nouvelles ont à soutenir contre la résistance opiniâtre de la propriété foncière. Il n’est aucune ligne qui n’éprouve alors un ou deux échecs devant le parlement avant d’être autorisée, et cependant les entreprises de cette époque se distinguent presque toutes par un caractère sérieux. Ce ne sont point de ces spéculations téméraires, conçues seulement en vue de l’agiotage, comme il s’en produira plus tard. On tombe, il est vrai, dans des erreurs fréquentes et quelquefois formidables, mais on y tombe par inexpérience et de bonne foi.

Le chemin de Londres à Birmingham, dont la longueur dépassait 180 kilomètres, fut un des premiers à se produire. Dès le mois de septembre 1830, une société s’était constituée pour l’exécution de cette ligne par la fusion de