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tous les jours, il est habitué à l’intempérie des saisons parce qu’il couche toujours en plein air, et enfin, condition capitale, il sait supporter la soif et la faim. Peut-être n’est-il pas assez grand pour nos cuirassiers et nos dragons, voila tout ce que j’ai à lui reprocher. Je n’ai pas dit : Peut-être n’est-il pas assez fort, remarquez-le bien, car j’ai vu nos dragons d’Espagne, des hommes de six à sept pouces, tous remontés en chevaux espagnols, fournir au besoin, et très vigoureusement, des courses au galop de deux ou trois lieues.

« Je n’ai plus à vous parler que d’une objection qui a été souvent faite par les détracteurs de la race arabe. Ils ont dit que le cheval arabe ne résistait pas au froid, et que, bon peut-être pour les pays chauds, il ne convenait nullement pour les climats du nord. Ma réponse est sans réplique.

« J’ai fait toute la campagne de Russie avec un cheval barbe ; seul entre tous mes autres chevaux, allemands ou polonais, il a résisté, sans avoir pris le poil d’hier et rond comme une pomme, bien qu’il ne se fut à peu près nourri que de la paille des toits. Le général Sébastiani avait une nombreuse et superbe écurie en entrant en Russie, chevaux de toutes les races parmi lesquels il s’en trouvait six venant des montagnes de Grenade (c’est la race barbe dans toute sa beauté). Il perdit tous ses chevaux à l’exception des grenadins. Je pourrais vous citer mille faits de ce genre. Fasse donc le ciel que toute notre cavalerie légère et de ligne soit remontée en chevaux africains ! Avec eux, elle pourrait aller au bout du monde.

« En résumé, mon cher Daumas, je vous fais mon compliment d’avoir eu le courage de soutenir une thèse qui est fondée sur l’expérience et la raison : c’est ordinairement un motif d’avoir tort dans notre pays ; mais comme on y finit toujours par ouvrir les yeux, ce sera dans l’avenir votre récompense pour n’avoir pas craint de dire la vérité. Au surplus vous avez pris la bonne manière pour la faire accepter, c’est d’être instructif et amusant.

« DE LAWOESTlNE. »

À ces documens d’un intérêt si vif et si actuel j’ajouterai que les chevaux arabes ou orientaux de l’empereur Napoléon Ier, dans sa mémorable campagne de Russie, sont également ceux qui ont le mieux résisté à toutes les fatigues, à toutes les intempéries, à toutes les privations. Ce fait est ainsi attesté par M. le comte de Lantivy, qui a fait la campagne de Russie en qualité de page de l’empereur :

« Vous me demandez mon avis sur les chevaux arabes qui, à ma connaissance, ont fait la campagne de Russie ; je m’empresse de vous le donner.

« Le cheval arabe soutenait mieux les fatigues et les privations que le cheval européen. L’empereur, pendant celle rude campagne de Russie, n’a guère conservé que ses chevaux arabes.

« Le chef d’escadron Hubert, depuis général de division, sur cinq chevaux n’en a ramené qu’un seul : il était arabe.

« Le capitaine Simonneau, depuis officier-général, n’a ramené que son cheval arabe, et moi-même je n’ai pu en conserver qu’un : c’était un breton croisé arabe. »

D’un autre côté, si nous consultons l’histoire, nous voyons les