Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coiffure est relevé par mille ornemens bizarres. Un mouchoir de soie de Damas ou d’Alep, noué autour du fez, retombe négligemment sur l’épaule gauche; de nombreux rubans se croisent sur le mouchoir, et des bouts de dentelle sont entremêlés aux rubans. Fez, mouchoir, rubans et dentelle ne forment d’ailleurs que la gracieuse charpente de cette œuvre d’art : par-dessus celle-ci, on pose tout un parterre de fleurs naturelles, et qu’il faut renouveler d’heure en heure. Une touffe de rosés descend sur l’oreille, une branche d’oranger fleuri caresse la joue; des jasmins, des œillets, des fleurs de grenadier s’étalent en diadème au-dessus du front; enfin chacune de ces fleurs est attachée sur le mouchoir par de larges épingles en diamans ou en pierreries montés à la façon orientale, et représentant aussi des fleurs ou des papillons. Les dames de Syrie semblent avoir adopté la maxime qu’on n’a jamais trop d’une bonne chose, et que les bijoux sont une fort bonne chose. Figurez-vous maintenant sous ce costume des femmes à la taille haute et élancée, quoique parfaitement arrondie, de grands yeux noirs brillant d’un éclat extraordinaire, un teint qu’eut admiré Titien, des traits fins, délicats et réguliers, et une expression toujours gracieuse et souriante : vous aurez une image aussi exacte que possible de la beauté syrienne. Pour ma part, j’ai vu des types de beauté plus remarquables, j’en ai rarement vu de plus séduisans. Il faut tout dire cependant : les coutumes européennes, si peu connues et si mal reçues en Orient, menacent d’y faire brèche par la toilette des dames, le seul côté peut-être des mœurs musulmanes qu’elles feraient bien de respecter. Les dames d’Alep commencent à abandonner la robe de chambre et la queue pour la jupe ronde de l’Occident, les brocards ou les satins d’Alep et de Damas pour les étoffes de Lyon, et, ce qui est bien pis, les tissus de l’Inde, de la Perse et du Thibet pour les cachemires français.

Latakié est une petite ville mieux bâtie que ne le sont les villes de l’Asie-Mineure; l’architecture extérieure des habitations n’a rien de remarquable; seulement les maisons ont l’air de maisons, et non pas de cabanes en ruines. Les trottoirs sont si élevés, le milieu des rues si malpropre et les rues si étroites, que le seul moyen de les traverser sans se crotter jusqu’au genou, c’est de sauter d’un trottoir à l’autre, ce qui rend le plaisir de se promener dans la ville de Latakié quelque peu fatigant. J’allai visiter un ancien arc-de-triomphe attribué à Vespasien; mais ce monument, fort dégradé, n’était peut-être pas d’une grande beauté lorsqu’il était intact. J’en fus peu satisfaite. Je préférai à ces ruines insignifiantes les bosquets d’orangers, d’oliviers et de figuiers dont la ville est entourée, et les palmiers solitaires qui s’élèvent çà et là dans la campagne imprégnée au loin de leur parfum.