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Que pourrais-je ajouter à cette remarquable lettre, aux observations de cet homme, qui, constamment en présence de la nature, a su l’étudier jusque dans ses détails les plus fugitifs ? D’après le témoignage d’Abd-el-Kader, il doit donc demeurer évident que les Arabes ne donnent la préférence aux jumens, ni parce qu’elles influent plus que le mâle sur le produit, ni parce que leurs services sont préférables à ceux du cheval, mais uniquement, comme je le proclamais dans les Chevaux du Sahara, parce qu’elles font des petits, ou, en d’autres termes, parce que leur rentre est un trésor.

Après avoir constaté ce fait, j’aborde le point le plus important de ma tâche ; je dis le plus important, car de l’ensemble des renseignemens que je vais produire doit naître, je le crois, la conviction pour tous que le cheval arabe est le véritable cheval de guerre. On comprendra facilement qu’après avoir exposé cette opinion dans un livre, j’aie dû chercher, par tous les moyens, à m’assurer si le cheval arabe était seulement le meilleur cheval de guerre en Algérie, sous le climat qui l’a vu naître, ou bien s’il devait encore, dans d’autres régions, montrer sa supériorité et prouver qu’il est capable de supporter le froid comme il a prouvé qu’il peut supporter la chaleur, la fatigue, les intempéries, la faim et la soif. L’épreuve qui vient d’être faite en Crimée me parait concluante, et cette opinion, je l’espère, deviendra l’opinion de tous après la lecture des documens que je livre à la publicité. Il faut remarquer que l’épreuve sur laquelle je m’appuie a eu lieu sur une assez large échelle pour déterminer un jugement définitif. Nous avons en effet en Crimée deux régimens de chasseurs d’Afrique (bientôt nous aurons les quatre), quelques spahis, un grand nombre d’officiers de tous grades et de toutes armes montés sur des chevaux arabes. Nous pouvons donc obtenir des observations qui ont été faites les renseignemens les plus positifs pour la solution d’une question qui nous intéresse à un si haut point.

Avant tout, je dois cependant déclarer qu’il n’entre nullement dans ma pensée d’établir de comparaisons fâcheuses entre le cheval arabe et ceux des autres races et des autres nations. Tous les chevaux ont leur utilité et leur mérite selon le point de rue où l’on se place. Ce que je tiens seulement à constater, c’est la prééminence du cheval d’Orient comme cheval de guerre, et cela par des faits qui parleront assez d’eux-mêmes, et dont chacun pourra tirer les conclusions qui lui paraîtront convenables.

Voici d’abord des extraits de lettres venant de Crimée : je les donne par ordre de date.

« Devant Sébastopol, 20 novembre 1851.

« En dépit des embarquemens, des débarquemens, du froid et des misères