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que peuvent donner chamelles, chèvres, brebis, etc. Tout est réservé à l’heureuse pouliche, objet de l’amour et des plus tendres soins de la part de tous les habitans de la tente.

« Les plus beaux chevaux des Nedjeds sont facilement vendus ; ou les embarque sur les ports du Golfe-Persique pour les Indes anglaises. À leur arrivée à Bombay, ils coûtent de 8 à 12,000 francs et une moitié des prix de courses. Quant aux jumens de pur sang, il est bien difficile, sinon impossible, de se les procurer.

« Abbas, pacha d’Égypte, a depuis sept ou huit ans des agens qui courent en tous sens. Ils sont parvenus à en acheter vingt-trois ou vingt-quatre. Elles ont été payées de 22,000 à 50,000 francs, et sur ces vingt-quatre il est de notoriété publique que douze ou treize seulement étaient vraiment de première race. J’ai vu payer celle qui coûtait le moins cher 80,000 piastres (la piastre 4 1/2 = 1 franc). C’était à un pauvre diable qui n’avait d’autre fortune que sa jument. Il avait longtemps résisté aux offres qui lui étaient faites ; sa famille avait profité d’une de ses absences pour les accepter. Ce malheureux pleurait à chaudes larmes, tout en comptant le monceau de pièces d’or qui était devant lui. Que d’exemples je pourrais vous citer dans ce genre !

« Voici encore un fait général à l’appui de la haute estime que les Arabes ont pour la jument relativement au cheval : veulent-ils parler d’un animal qui a laissé dans la mémoire des Arabes le souvenir d’une bonté remarquable ou de quelques courses extraordinaires, vous n’entendrez jamais dire : « Le fameux cheval du cheikh un tel, » mais toujours : « La jument du cheikh un tel. »

« En dehors de cette différence, toutes les paroles d’Abd-el-Kader et les vôtres sont celles qui sont dans la bouche, de tous les sportmen de l’Asie. »


Cette lettre fit une grande impression sur moi. Je venais d’entendre confirmer pur un témoignage considérable tout, ce que j’avais écrit sur les Arabes. Je pouvais avoir mal observé, on m’avait peut-être induit en erreur. Les musulmans sont lunatiques et méfians ; ne devais-je pas craindre qu’ils ne se fussent fait un devoir en même temps qu’un plaisir de me tromper ? Tromper un chrétien, c’était alors une action si méritoire ! Eh bien ! non, j’étais dans le vrai : en voyant et en interrogeant les Arabes de l’Algérie, j’avais vu et entendu les Arabes de la souche primitive.

Et puis dans tout cela je trouvais encore un sujet inépuisable de profondes méditations. N’était-ce pas en effet quelque chose d’admirable que de voir un peuple disséminé sur de vastes espaces, du Golfe-Persique à l’Océan, sans voies de communications, sans imprimerie, sans télégraphes, sans aucun des moyens de civilisation moderne, mais parlant la même langue, obéissant à la même loi et conservant par la simple tradition, aussi bien que nous aurions pu le faire par des livres, les usages, les mœurs et jusqu’aux préceptes de ses pères ? Cette unité dans de pareilles conditions était vraiment de nature à inspirer l’étonnement.

Quoi qu’il en soit, il restait entre M. Petiniaud et moi une question