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qu’ils veulent mettre en relief, c’est un mérite tout individuel. Sous ce régime d’indépendance excessive, il peut y avoir bon nombre de talens, mais ces talens se contredisent et s’insultent en quelque sorte ; le doute s’installe dans tous les esprits, parce que le bien et le mal se rencontrent un peu partout ; bref, il n’y a plus d’école, partant plus de foi ni de progrès soutenu.

Les œuvres de David et celles des peintres qu’il a formés, — je ne parle, bien entendu, que des plus dignes, — ont au moins cette unité de physionomie sans laquelle l’art d’une époque court risque de laisser peu de traces. Ce n’est pas que la similitude soit ici tellement complote qu’on ne puisse reconnaître, sous les traits généraux de la race, les caractères particuliers et comme le tempérament de chaque talent. Dans les tableaux de Drouais et de son contemporain Fabre, une certaine originalité se fait jour à travers des dehors d’imitation formelle. Depuis Girodet et Gérard jusqu’à M. Ingres et Léopold Robert, les artistes éminens qui se sont succédé dans l’atelier de David n’y ont pas, tant s’en faut, transformé leur nature ; mais tout en obéissant à des instincts différens, tout en vivant de leur vie propre, ces divers talens se relient entre eux par une sorte de solidarité, par un fonds de croyances communes. Sans doute, au point de vue de la forme, il n’y a que de lointaines analogies entre le Déluge et l’Apothéose d’Homère, entre la Psyché et les Moissonneurs dans les Marais-Pontins. Niera-t-on cependant que ces nobles ouvrages procèdent d’inspirations à peu près semblables, qu’ils aient pour objet l’expression d’une idée poétique, pour principe l’étude de l’antique et d’un même ordre de beau ? Il n’est pas jusqu’à leurs imperfections, jusqu’à cette correction et cette dignité un peu pénibles qui ne les rattachent les uns aux autres et n’achèvent d’en déterminer le caractère identique.

La réforme entreprise par David et continuée sous ses yeux, ou après lui pendant un demi-siècle, a donc toute l’importance d’un grand fait dans l’histoire de la peinture française. Il n’y a pas lieu néanmoins de considérer cette révolution comme un de ces événemens décisifs qui ouvrent à l’art une ère nouvelle et une voie de progrès imprévu. David et ses élèves ne firent en réalité que se séparer de leurs prédécesseurs immédiats pour suivre à leur manière les anciens erremens de l’école. Bien avant eux on s’était épris en France de la grandeur et de la simplicité antiques : Poussin et ses contemporains le prouvent suffisamment. Dès longtemps, la raison, le goût de l’exactitude, les arrière-pensées littéraires, avaient donné aux œuvres de la peinture française leur signification et leur valeur. Depuis Jean Cousin jusqu’aux derniers survivans de l’école du XVIIe siècle, depuis Clouet jusqu’à Rigaud, les peintres d’histoire et de portrait ont, à la diversité des styles près, la même volonté de