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comme supplément, en supposant que vos hôtes soient de bonnes gens, et qu’ils vous offrent quelque chose ? En guise de matelas, vous avez une couverture piquée que l’on vous plie en deux et dans l’intérieur de laquelle vous êtes invité à vous étendre comme entre les feuillets d’un livre. Le repas consiste d’ordinaire dans un plat de riz cuit à l’eau et assaisonné avec du beurre n’importe de quelle date ; dans les maisons bien tenues, on vous sert des cuillères de bois qui vous sont d’un grand secours pour manger ; dans les petites, on vous laisse le choix ou de prendre le riz avec vos doigts, ou de confectionner vous-même et sur place de petits récipiens avec un lambeau de votre pain. Ceci encore demande explication : le pain d’Asie ne ressemble guère au pain d’Europe. On mêle de la farine d’orge avec de l’eau, on ne la pétrit guère ; puis avec le rouleau à pâte on l’étend sur une planche en lui laissant l’épaisseur d’un gros cahier de papier. Cela fait, on pose la pâte sur un vaste couvercle de casserole ou de marmite que l’on approche du feu, on l’y laisse deux ou trois minutes, et le pain est fait. Ce pain, qui est aussi mou que du calicot, vous sert de nappe et même d’assiette, de serviette pour essuyer vos doigts et pour envelopper les provisions du lendemain ; enfin vous en faites de petits cornets que vous remplissez de riz ou de tout autre ragoût peu solide, et que vous portez ensuite à la bouche aussi proprement que vous le pouvez. Quelquefois on vous sert aussi du lait aigre et caillé auquel je me suis accoutumée, mais qui, à cette époque de mon séjour en Orient, me déplaisait fort. Quant au café, non-seulement il est servi sans sucre, mais on exige en outre que la moitié de la tasse soit occupée par le marc. Au moment de vous le présenter, on le remue de telle sorte que le fond monte à la surface et se mêle à tout le liquide. Une troisième cause d’embarras pour le voyageur séparé de ses bagages, c’est que les peignes et les brosses sont des objets complètement inconnus dans les campagnes en Orient[1]. On voit quelles contrariétés se prépare un touriste européen trop confiant dans les ressources de l’hospitalité orientale : je n’insiste pas sur ces ennuis qu’il me suffit d’avoir indiqués. J’ajoute un seul détail. Malheur à qui visite certaines parties de l’Orient sans avoir pourvu à son éclairage ! En effet, ni dans les villages ni même dans les petites

  1. Parmi les petits inconvéniens qu’on me pardonnera d’énumérer ici, il faut compter encore l’impossibilité de verser de l’eau dans une cuvette pour se laver le visage et les mains. Les cuvettes orientales sont d’ordinaire en ferblanc ou en cuivre, et le fond est composé d’un treillage à travers lequel l’eau coule, à mesure qu’on la verse, dans un second bassin du même métal, mais excessivement malpropre. Les Orientaux tiennent leurs mains au-dessus du treillage, reçoivent l’eau qu’un serviteur leur verse, et qui s’écoule ensuite dans le bassin inférieur. Pendant que leurs mains sont ainsi mouillées, ils les passent sur leur visage et sur leur barbe, et leurs ablutions sont terminées. Ces ablutions, très imparfaites, sont répétées plusieurs fois dans la journée.