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de la parole divine, la France crut pouvoir se passer de Dieu, et on pourrait résumer d’un mot terrible l’opinion qui fut pendant toute la seconde moitié du siècle celle de la majorité des Français. – Eh bien ! si Dieu nous abandonne, que le diable vienne alors à notre secours, et qu’il nous sauve, puisque Dieu ne le peut pas ou ne le veut pas. — Voilà pourquoi l’athéisme eut tant de vogue ; il se présentait naturellement comme la contre-partie, la contradiction et l’arme de destruction d’une monarchie et d’un clergé avilis et détestés.

Un mot maintenant sur les deux écrivains qui nous ont offert l’occasion d’exposer les quelques pensées qui précédent. M. Lanfrey est jeune, ardent, intelligent, doué d’un incontestable talent ; mais avant tout félicitons-le d’avoir aussi bien choisi son sujet et son heure. Il a eu la main heureuse, car il est douteux qu’il eût obtenu un tel succès, eût-il employé plus de talent encore qu’il n’en a mis dans son livre à raconter un autre épisode de l’histoire. Les controverses récentes ont puissamment aidé à son succès. Son livre est aussi très curieux comme signe des tendances de la génération qui surgit. Il y a quelques années à peine, aucun jeune homme n’eût osé écrire ce livre. Faire une apologie de Voltaire, fi donc ! il fallait laisser cela aux bourgeois, aux vétérans du libéralisme. Passe encore pour Rousseau, personnage intéressant et romanesque ; passe encore pour Diderot, brillant faiseur de paradoxes et fantaisiste de premier ordre, pour M. de Robespierre, le vertueux excentrique, pour Babeuf et Anacharsis Clootz ! Mais Montesquieu, Locke, Voltaire, d’Alembert, Buffon, Mirabeau, la constituante, toute la partie à peu près raisonnable du XVIIIe siècle, comme on en faisait bon marché, comme on souffletait bien leur gloire, avec quel entrain on traînait leurs cadavres dans l’égout pour élever à leur place, celui-ci la statue de Marat et celui-là la statue de Fréron ! Quelques années à peine nous séparent de cette époque ; comme les jeunes gens sont devenus raisonnables et rangés ! Naguère, quand un jeune homme prenait la plume, c’était pour écrire quelque apologie des temps féodaux qui aurait fait ouvrir les yeux à M. de Montlosier lui-même, quelque apologie du comité de salut public qui aurait étonné le chevalier de Saint-Just, quelque traité fouriériste sur l’organisation du travail ou la solidarité humaine. On s’affublait de costumes étranges, on était catholique démocrate, communiste, socialiste, que sais-je encore ? et maintenant que ces folies sont passées, qu’elles n’offrent plus aucun danger, nous dirons qu’après tout il y avait en elles quelque chose de l’inquiétude du siècle et de ses espérances vers un avenir meilleur. Ce n’est pas M. Lanfrey qui est inquiet et tourmenté ; il parle d’un ton tranché, rien ne l’intimide, rien ne l’arrête : il a le calme de la croyance absolue. De la première à la dernière page de son