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La force brutale, voilà en effet le pouvoir nouveau qui finit par s’établir au XVIIIe siècle. Je regrette que M. Lanfrey, qui a si habilement raconté les luttes du pouvoir civil contre l’église, n’ait pas fait ressortir la marche parallèle de ces deux faits : l’élévation graduelle du despotisme, la décroissance graduelle de l’église. L’un monte à mesure que l’autre descend, et lorsque l’église est entièrement détruite, le despotisme ne rencontre plus aucun obstacle. La révolution qui se déchaînera à la fin du siècle, et qui déclarera la guerre aux tyrans, ne connaîtra d’autre moyen de gouvernement que le despotisme du comité de salut public, et ne se reposera que lorsqu’elle se sera couronnée elle-même dans la personne d’un chef d’armée. Il est donc injuste, comme on l’a fait souvent, d’attribuer aux doctrines du XVIIIe siècle les progrès du despotisme. Elles n’y ont pas nui sans doute, mais dans leur lutte contre le pouvoir sacerdotal les philosophes n’ont fait que suivre le mouvement commencé par les rois, sans imaginer qu’en attaquant l’église ils travaillaient au profit du despotisme.

Cette sécularisation universelle de l’humanité était-elle nécessaire ? Oui, car les peuples étaient arrivés à cet état de positivisme et de croyance raisonnée qui rendait désormais impossible le gouvernement du clergé. La foi elle-même avait perdu sa naïveté, les doctrines françaises du XVIIe siècle le prouvent assez. Dans les livres des grands écrivains de cette époque, les doctrines catholiques touchent déjà au rationalisme. Que sont devenus, entre les mains de ces docteurs illustres, le catholicisme du moyen âge, les passions de la ligue, l’enthousiasme naïf de l’Espagne du XVIe siècle ? Les considérations politiques commencent déjà à l’emportée. Avec l’église gallicane s’introduit dans le catholicisme un commencement de sécularisation ; l’église devient nationale ; son chef immédiat n’est plus le pape, c’est le roi. On met en pratique la théorie de la séparation des pouvoirs. Le roi Louis XIV, dévot catholique jusqu’à la persécution inclusivement, prélude sans le savoir au XVIIIe siècle. Si le clergé veut conserver un pouvoir politique, il s’expose à devenir gênant. Le rôle de protection qu’il a rempli au moyen âge est fini depuis longtemps en effet ; les peuples ne sont plus timides, faibles et naïfs comme autrefois, ils sentent maintenant leur force, et sont très capables de résister aux barons féodaux, si par hasard il en reste encore. Les gouvernails n’ont plus la grossière violence des maîtres d’autrefois. Certes Condé, Louvois et Louis XIV ne sont pas précisément des types d’humanité, et le doux Turenne peut bien encore ordonner la dévastation du Palatinat ; mais leurs violences ne sont plus arbitrairement capricieuses comme celles des gouvernails du moyen âge. Si la protection du clergé n’est plus nécessaire, à quoi donc se réduit son rôle ? Probablement à la prédication, à l’enseignement du