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et où l’homme est entré sur la terre, est comparativement très courte, et ne remonte environ qu’à six mille ans ; mais en ce qui concerne l’homme, l’importance de cette période compense son défaut d’antiquité. Quand on sonde les terrains inférieurs, on y trouve les indications de plusieurs catastrophes antérieures ; on y voit la mer tour à tour envahir et délaisser les diverses contrées, après avoir pris le temps d’y accumuler les débris des êtres vivans qui n’ont pu s’y amasser que par un laps immense de temps. Il n’y a plus d’années, plus de siècles, qui puissent mesurer la durée de ces périodes géologiques. Le chanoine Recupero, qui s’était pour ainsi dire identifié en Sicile avec l’Etna, comptait avec stupeur le nombre des coulées de laves entassées par ce volcan depuis les couches situées à trois mille mètres de hauteur, jusqu’à celles qui étaient plus basses que le pied de la montagne. Cette observation lui décelait une durée inconcevable pour l’âge du monde, que l’on ne savait pas alors interpréter symboliquement. Qu’eût-il dit, s’il avait eu sous les yeux tous les faits de la science moderne relatifs à la formation des terrains tertiaires produits sous l’empire de la vie, pendant des périodes sans fin, des durées sans limites ? La conclusion à tirer de ces observations, c’est que l’état actuel du globe étant de très récente date, et chacun des états successifs étant de longue durée, il n’y a pas lieu de craindre d’ici à longtemps pour le genre humain ce qu’on appelait vulgairement la fin du monde. L’histoire manquera de chronologie avant qu’une nouvelle catastrophe terrestre vienne clore les destinées de la race qui domine aujourd’hui sur le globe. Dans ces âges futurs, pour lesquels la durée de nos empires sera à peine perceptible, que sera la gloire, et que seront devenues surtout nos gloires actuelles qui nous passionnent tant ?

Les termes manquent, à plus forte raison, pour exprimer la durée de l’âge cosmogonique qui a précédé les âges géologiques. Concevoir la matière disséminée dans l’espace, et sa lente agglomération en masses distinctes, en soleils, en nébuleuses ou amas de soleils, puis concevoir que tout cet ensemble ait eu le temps de pivoter sur son centre, en laissant des traces de la disposition que lui a imprimée son mouvement, c’est vouloir, à la lettre, se figurer l’éternité du passé !

En revenant à l’humanité, qui ne songera à ces paroles de Pindare qui datent de cinq siècles avant notre ère : « Les hommes éphémères, — car qu’est-ce que l’existence, qu’est-ce que le néant ? — les hommes éphémères ne sont que le rêve d’une ombre ! »


Σϰιᾶς ὄναρ ἄνθρωποι