Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/727

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette matière beaucoup de gens ont parlé, que tout le monde a dit son mot, mais que personne n’a épuisé la matière. Nous pensons que la belle théorie cosmogonique de Laplace donne un démenti formel à l’inscription d’Ensisheim. Suivant cette même théorie, les étoiles filantes, ces feux que nous voyons briller si inopinément pendant les nuits sereines, seraient aussi des substances étrangères à la terre que notre atmosphère enflammerait au moment où elles y pénètrent, et qui ne différeraient des masses qui nous donnent des pierres et des météores compactes que par une constitution gazeuse et légère qui les rendrait incapables de fendre l’air et de laisser des traces sensibles de leur existence. On a cependant quelquefois recueilli le résidu de leur combustion. On espérait beaucoup que ces substances étrangères à la terre nous amèneraient des élémens chimiques nouveaux, et l’excellent chimiste Laugier avait analysé dans cet espoir un grand nombre de pierres tombées du ciel ; mais il n’y a trouvé que les mêmes substances chimiques connues sur notre terre et dans nos laboratoires. Rien n’est du reste extraordinaire ici, car ces petites planètes, formées dans la même région céleste que la terre, ont dû l’être de matériaux de même nature, et par suite il n’y a pas d’analogie physique ou logique blessée par l’identité chimique des aérolithes avec la terre.

Pour conclusion à cette étude, on peut dire que si la cosmogonie de Laplace ne satisfait pas à tout ce que l’esprit humain, toujours un peu présomptueux, avait ambitionné de savoir, si elle ne remonte pas jusqu’aux causes premières, elle recule du moins les bornes de la science, ou, si l’on veut, de l’ignorance, jusqu’à une distance qui fait honneur au génie de l’homme. Nous suivons assez loin la généalogie de notre globe terrestre pour que ses titres de noblesse astronomique remontent à une date respectable. J’avoue que je n’entrevois pas comment on pourrait remonter plus haut dans les âges cosmiques : je serais donc tenté de dire avec Pline que nous devons nous contenter de ce que nous avons découvert, et laisser à la postérité quelque petite chose à faire pour la vérité. Cependant si, à l’exemple de Fontenelle, nous introduisions dans un dialogue des morts l’auteur romain de l’Histoire Naturelle et l’auteur français du Système du Monde, Pline ne serait-il pas un peu embarrassé devant Laplace, et celui-ci n’aurait-il pas beau jeu à lui reprocher ses assertions orgueilleuses ?

Pour ces trois périodes de l’existence du monde, savoir les âges cosmogoniques, les âges géologiques et les âges historiques, il est évident que chaque durée est fort inégale. La dernière période, qui date de l’époque où la nature a pris l’aspect que nous observons aujourd’hui,