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période. Tel est le problème que la nature semble jeter en défi à l’intelligence humaine avec toutes ses complications, et rien n’est plus littéralement applicable à ceux qui recherchent les causes de l’état actuel de la terre que cette expression biblique, que le monde a été livré en proie à leurs discussions (mundum tradidit disputationi eorum). Plus d’une fois même le zèle pour la vérité a engendré la passion, et la géologie a eu ses volcans et ses tremblemens de terre au moral comme au physique.

Il y aurait bien un moyen simple de se tirer d’affaire : c’est de prétendre, avec l’éloquent Bernardin de Saint-Pierre, que tous les êtres dont nous voyons les débris dans les entrailles de la terre n’ont réellement pas vécu, et que le monde a été fait tout vieux. Telle est la propre expression de ce génie si éminemment littéraire. Suivant lui, le monde n’a point eu d’enfance. Il a été créé de manière à fonctionner tout de suite. Des forêts en pleine croissance ont été formées telles que nous les voyons aujourd’hui, pour abriter ou nourrir des animaux qui n’avaient point passé par l’enfance et l’âge adulte. Les oiseaux de proie ont alors dévoré des cadavres qui n’avaient point eu la vie. On y a vu des jeunesses d’un matin et des décrépitudes d’un jour. Enfin, si les couches inférieures du sol tiennent en dépôt de si prodigieuses quantités de végétaux, de coquillages, de débris de poissons, d’oiseaux, de quadrupèdes, semblables ou non semblables aux habitans actuels de la terre, c’est que leur présence était nécessaire à l’harmonie du globe. Si l’on admettait cette théorie, il faudrait admettre que la nature a voulu préparer à l’homme une étrange déception, car elle a organisé les terrains de nos continens de manière à convaincre l’esprit le plus incrédule que l’état actuel du globe avec ses habitans d’aujourd’hui n’est pas le premier état qui ait existé. En tenant compte seulement de la vie à ciel découvert, les habitans de Londres ne sont que les seconds locataires de leur contrée, les Parisiens n’en sont que les troisièmes occupans, et les Autrichiens de Vienne sont la quatrième population de leur localité.

L’histoire et la théorie des catastrophes successives qui ont peuplé et dépeuplé alternativement d’animaux marins et terrestres les diverses parties de notre globe, constituent ce qu’on appelle les époques géologiques et quelquefois les époques de la nature, quand on ne considère celle-ci que dans l’enceinte de notre terre. Pour porter le flambeau dans la nuit des siècles antérieurs, on s’aide de toutes les lumières des sciences. Les lois de la mécanique, de la physique, de la chimie, sont consultées et donnent l’exclusion ou la confirmation aux hypothèses proposées par l’imagination, qui à l’ordinaire marche toujours en avant, négligeant un pénible contrôle qui cependant lui est indispensable. Puis on note toutes les indications relatives