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d’une voix ferme et recueillie. Les assistans restaient mornes et silencieux. «C’est bien, reprit-elle, tout est fini, je le suivrai bientôt.» Cela est simple, énergique, un peu sec, un peu dur; point d’épanchement, même de serrement de mains entre les deux époux; pas une parole sur l’Amérique, sur la gloire, même pas un mot de religion, quoique Washington fût religieux. C’est bien, dit celui qui meurt; c’est bien, dit celle qui le voit mourir et qui espère ne pas lui survivre. Tel est le caractère américain, où ne dominent point l’imagination et la tendresse, mais la rigidité et la force.

J’ai attendu pour louer l’historien de Washington d’être au bout de ma tâche. Les citations que j’ai choisies dans son livre rendent les éloges presque superflus; elles ont fait connaître la droiture du jugement et la sage élévation des sentimens de l’auteur. Si j’avais pu, en quelques pages, donner à mes lecteurs une idée vraie de la carrière militaire, politique et diplomatique de Washington, je le devrais à la composition bien ordonnée de l’ouvrage, au bon emploi des matériaux, à l’ordre simple et lumineux dans lequel M. de Witt les a disposés. Son histoire de Washington ressemble à Washington lui-même. Au premier abord, elle semble quelque peu froide; mais à mesure qu’on avance dans cette lecture, l’historien intéresse davantage, comme le héros se fait plus aimer à mesure qu’on le regarde de plus près. M. de Witt est de la famille de ce généreux citoyen qui tomba victime d’une multitude qu’aveuglait sa passion pour un prince, de ce Jean de Witt, qui, traîné par des furieux dans les rues d’Amsterdam, répétait d’une voix ferme ces vers d’Horace :

Juetum et tenacem propositi virum
Non civium ardor prava jubentium...

Le nom qui fut celui du vertueux patriote hollandais fait bien au frontispice de cette histoire exacte, judicieuse et sincère du grand patriote américain.


J.-J. AMPÈRE.