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luttes, la préférence de l’une ou de l’autre alliance, le retentissement des passions déchaînées par notre révolution dans ses plus mauvais jours, avivèrent aux États-Unis l’irritation des partis. Ce fut à travers tous ces obstacles, de 1789 à 1797, en passant par 1793, que Washington eut à maintenir l’indépendance de la politique de son pays, à éviter autant que possible une rupture avec l’une des deux puissances en guerre, à faire respecter un état né d’hier, à le protéger contre les intrigues de l’Angleterre et la propagande perturbatrice de la France, sans qu’il en coûtât rien à la liberté. Washington a fait tout cela. Il faut lire dans l’histoire de M. de Witt l’exposition très claire et très nette de la diplomatie de Washington. On ne saurait mieux exposer la marche de négociations difficiles, conduites toujours avec la même droiture de caractère et la même rectitude de jugement.

Washington établit tout d’abord pour les États-Unis ce principe de neutralité dans les affaires de l’Europe, que des insensés seuls peuvent vouloir ébranler aujourd’hui. « J’espère, disait-il, que nous saurons rester dégagés du labyrinthe de la politique et des guerres européennes. Ce devrait être la politique des États-Unis de pourvoir aux besoins des nations de l’Europe sans prendre part à leurs querelles. » Et il ajoutait : « Toutes les fois qu’un débat important s’élèvera entre elles, si nous savons sagement tirer parti des avantages que la nature nous a donnés, nous pourrons tirer parti de leur folie. » Ces dernières paroles peuvent sembler un peu machiavéliques pour Washington ; mais elles sont corrigées par celles-ci, qu’on trouve citées au bas de la même page : « Je crois que, pour les nations comme pour les individus, celui qui profite de la détresse d’autrui perd infiniment plus, dans l’opinion des hommes et dans l’avenir, qu’il ne gagne par le coup du moment. » Du reste, Washington, s’il était un homme d’état sincère, n’était pas un diplomate candide. Grâce à Dieu, il est possible d’être honnête et habile, et la niaiserie n’est pas une condition de la vertu. Il y a des gens qui voudraient bien le faire croire. Il serait commode aux hommes sans principes d’établir que ceux qui en ont sont des imbéciles ; cela dégoûterait d’une si dangereuse prétention : on serait dispensé d’admirer la probité et de compter avec elle, vu son incapacité innée. Mais non, comme il est possible d’être un grand coquin sans avoir beaucoup d’esprit, il est possible d’être un homme vertueux sans être tout à fait un sot. Pas plus que Franklin et M. de Lafayette, Washington ne manquait de finesse dans l’esprit, et quelques-unes de ses dépêches suffiraient à le prouver. M. de Witt a raison de dire : « La diplomatie de Washington fut infiniment plus agissante, plus adroite, plus féconde en expédiens,