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de lutter longtemps, régnait enfin sans partage sur l’esprit du roi, en un mot, à l’époque où les réactions religieuses, que Louvois n’avait jamais combattues, prenaient chaque jour plus d’extension. En résumé, Louvois était ce que nous appelons aujourd’hui un vilain homme. Tel qu’on le connaît cependant, on comprendra qu’il fût merveilleusement préparé à diriger tous les détails d’une grande action militaire comme celle qu’il nous reste à raconter.

C’est à la suite d’un hiver rempli par des fêtes magnifiques, destinées à mieux masquer les projets du roi, que Louvois partit secrètement de Saint-Germain, où était la cour; c’est le 1er mars 1677 qu’il arriva devant Valenciennes. Cette ville était dès lors une des plus fortes places des Pays-Bas. « C’était, dit un auteur contemporain, une grande cité, considérable par son commerce et fort peuplée. Les fortifications en étaient en bon état. L’Escaut et le ruisseau de Ronel, qui la partageaient en plusieurs endroits, en augmentaient encore la force par des inondations. » Le marquis de Richebourg, frère du prince d’Epinoy, était le gouverneur de cette place; il avait pour second le meilleur officier d’infanterie de l’armée espagnole, M. des Prés; selon le Mercure Hollandais de 1677, la garnison se composait de deux mille fantassins et de douze à quinze cents chevaux. Une partie de la bourgeoisie avait pris les armes sur la promesse d’une exemption d’impôts pendant douze ans. Toute l’Europe regarda l’entreprise de Louis XIV comme imprudente, surtout dans une pareille saison et par un temps abominable. Les ennemis, loin de s’en inquiéter, parurent s’en réjouir, ne doutant presque pas « qu’on n’y reçût un affront, ou qu’on n’y ruinât son armée[1]. » Le fait est que, le jour où l’investissement de la place fut terminé, les bourgeois de la ville donnèrent « les violons » sur les murailles, dans l’intention évidente de railler et de défier les Français.

Valenciennes, au commencement de 1677, n’avait pas encore vu s’élever la citadelle qui la protège aujourd’hui. Cette citadelle, construite aussitôt après la prise de la ville, est l’œuvre de Vauban, qui dirigeait les travaux du siège en personne. Elle se trouve en arrière du front par lequel la place fut attaquée. La grande baie gothique, issue extérieure de cet ouvrage, dont le pont-levis traverse l’Escaut, servait, jusqu’à l’époque du siège, de porte à la ville même; elle conduit dans l’intérieur du pâté, espèce de construction massive, sorte de ravelin qui couvrait cette entrée importante. Le pâté, entouré d’un fossé plein d’eau venue de l’Escaut, a ses abords protégés par une contregarde revêtue, qui est elle-même précédée d’un ouvrage couronne d’un grand développement.

  1. « On regardoit, vu l’état de ses fortifications, l’attaque contre Valenciennes comme une témérité. » (Mémoires de Villars.)