Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Français répondit par un éclat de rire moqueur; mais l’hôtelier, qui avait poussé un cri de surprise, s’entremit vivement.

— Mlle Henriette ! dit-il. Est-ce bien de Mlle Bergel que vous voulez parler, monsieur ?

— D’elle-même, répondit l’étudiant.

— Alors ceci me regarde, reprit-il en élevant la voix. Si quelqu’un manque, ne fût-ce que d’intention, à Mlle Bergel, c’est à moi qu’il en doit compte.

— Et pourquoi cela, s’il vous plaît? demanda Hermann stupéfait.

— Parce que nous sommes fiancés, monsieur, répliqua-t-il avec énergie.

Il y eut une exclamation générale; le Polonais, M. de Vaureuil et le jeune Allemand se regardèrent. L’hôtelier avait étendu la main vers les pistolets, et le corps droit, le regard direct, les traits animés d’une expression calme, mais fière, il semblait attendre une explication dans cette attitude militaire et plutôt ferme que provocante. Après une assez longue pause : — Ces messieurs doivent comprendre que c’est moi maintenant qui attends des explications, reprit-il.

— Ainsi, c’est la vérité, répéta Hermann, qui semblait ne pouvoir revenir de sa surprise, vous avez reçu la promesse de Mlle Henriette?

— En doutez-vous, monsieur? répondit vivement l’hôtelier; elle-même alors pourra vous le répéter, car la voici.

La jeune fille et M. Borris venaient, en effet, de paraître au détour du sentier, où tous deux s’étaient arrêtés surpris et en apparence un peu inquiets d’entendre ces voix animées par le débat. M. Franck courut à Henriette et la prit par la main.

— Venez, de grâce, dit-il, et attestez que je ne me vante point d’un bonheur imaginaire en affirmant que vous avez consenti à unir nos deux noms[1] .

— Quoi ! vous l’avez déjà dit à ces messieurs! s’écria Henriette en rougissant.

— Pourquoi l’aurais-je caché plus longtemps? reprit Franck; les motifs qui nous imposaient silence jusqu’à ce jour ont cessé d’exister, tous les obstacles sont levés. Votre oncle ne vous a-t-il pas envoyé d’Amérique son consentement?

— Bavard ! murmura la jeune fille avec un regard plein de reproches caressans.

— Pardon, dit l’hôtelier en souriant, mais j’ai été amené à parler malgré moi; puis, ne m’aviez-vous point permis de tout avouer, ce matin, en descendant du Kulm?

  1. En Suisse, le mari joint à son nom le nom de famille de la jeune fille qu’il épouse.