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venue, il voulut faire lui-même la prière ; mais la voix ne tarda pas à lui manquer, et Joséphine fut obligée de l’achever à sa place. Le lendemain, il se leva dès la pointe du jour ; sa fille fut frappée de l’éclat fébrile de ses yeux. Elle ne put s’empêcher de communiquer ses craintes à Simon, qui vint dans la matinée à Champ-de-l’Épine. Comme la jeune fille se trouvait seule un instant avec son père, le vieillard mit de côté une liasse de papiers de famille, qu’il venait d’achever de mettre en ordre, et se tournant vers elle : — Tu as toujours été obéissante, toi, Josète, lui dit-il ; veux-tu faire ce que je te dirai ?

— Parlez, père, répondit la jeune fille en affectant une gaieté qui était bien loin de son cœur : on fera tout ce qu’il vous plaira ; mais j’estime que vous n’allez pas me commander de me jeter dans la citerne, par exemple ?

— Voici donc la chose, reprit le vieillard. Je ne peux pas m’accoutumer à l’idée de ce terme en retard ; il me semble que si je venais à manquer avant qu’il soit payé, je ne serais pas mort comme un brave homme. C’est lundi la foire de Salins ; j’ai regardé tout à l’heure sur l’almanach ; il faudra que tu y mènes Rosette et Marquise. Ce n’est pas toi qui devrais y aller, je sais bien ; mais je suis vieux et je n’ai plus que toi. Il faudra aussi relever le mur de Champ-de-l’Alouette ; il était en bon état quand nous avons pris la ferme, on doit le rendre en bon état. Tu prendras ces papiers, Josète ; soigne-les bien, entends-tu ? Quand tu auras besoin de conseils, tu iras trouver notre curé ou mon ami Jacquemet, lequel tu voudras des deux. Tu me promets aussi… Je ne sais pas ce que j’ai ; c’est par là, dans la tête… Tu me promets de te marier sous peu… avec… Simon…

Joséphine s’était bien promis de plaider à la première occasion la cause de Mélan devant son père ; mais, voyant le pauvre homme si accablé, elle ne voulut pas ajouter encore à son ennui en abordant un sujet aussi pénible.

— C’est bien, père, répondit-elle ; on fera tout ce que vous dites. Mais vous avez l’air bien fatigué ; vous devriez vous coucher un peu. Et puis, regardez quel temps il fait ; le neige vient battre jusque contre nos fenêtres ; on n’a jamais vu d’orval[1] comme ça. Je vous ferai une infusion. Voulez-vous que j’aille chercher la bassinoire de M. le curé ? Croyez-moi, père, couchez-vous ; vous verrez que vous serez bien mieux.

— Je crois que tu as raison, Josète, répliqua le vieillard. La tête me tourne ; je ne me suis jamais vu comme ça. Oui, oui, je serai mieux dans mon lit. Dis à ta mère qu’elle vienne m’aider à me cou-

  1. Tempête.