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encore le nom, la date de l’arrivée, laissa échapper quelques interjections de dépit ; puis, se rappelant la présence d’Hermann, il se retourna vers lui avec embarras.

— Pardon, dit-il en s’efforçant de reprendre un peu de calme. Il s’agit en effet de quelqu’un que je connais,… d’une parente… Êtes-vous sûr que ce journal soit le seul ici qui donne les arrivées des voyageurs ?

— Sûr, monsieur.

— Très bien alors.

Il replia vivement la feuille, et, l’ayant fait disparaître dans la poche de son paletot qu’il reboutonna avec soin, il s’approcha du jeune homme :

— Maintenant, mon cher monsieur Hermann, ajouta-t-il en baissant la voix, sachez que j’ai des raisons sérieuses pour désirer le silence sur tout ceci. Vous ne voudriez point abuser d’un secret dontle hasard vous a fait confident, et je compte sur votre discrétion.

Il y avait dans le ton de M. de Vaureuil quelque chose d’interrogateur qui semblait solliciter une promesse positive ; mais les traits de l’étudiant avaient pris une expression de gravité superbe. Il se leva lentement, appuya son regard avec dureté sur le Français, et passant la main dans sa chevelure : — Un moment, monsieur, s’écria-t-il d’un accent presque impérieux, je vous ai écouté jusqu’ici ; c’est à mon tour de parler.

M. de Vaureuil le regarda d’un air étonné.

— Pour garder le silence sur un secret, continua-t-il en élevant la voix comme un acteur qui s’empare de la scène, il faut le connaître tout entier et savoir s’il est de ceux qu’on a droit de taire. Mme Irma de Vaureuil ne m’est encore connue que par votre trouble à l’annonce de son arrivée.

— Pardon, dit le Français avec un peu de hauteur, est-ce une interrogation détournée, monsieur ?

— C’est une interrogation directe, répliqua l’étudiant, qui regarda en face son interlocuteur.

— Et si je jugeais à propos de ne pas y répondre ? fit observer celui-ci.

— Dans ce cas, je devrais m’en tenir aux conjectures, reprit le jeune Allemand, qui sentait son rôle grandir, et, en réunissant tous les détails, je serais autorisé à croire que la voyageuse d’Interlaken tient le nom qu’elle porte de M. de Vaureuil lui-même.

Celui-ci se leva vivement, un flot de sang lui monta au visage, et il laissa échapper une exclamation d’emportement ; mais il redevint aussitôt maître de lui. — Voyons, monsieur Hermann, dit-il avec une gaieté un peu forcée ; ne nous fâchons pas, je vois que vous êtes