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part du spiritualisme pur, et la part du spiritualisme perverti par une fausse interprétation de l’histoire. Sans doute tous les événemens accomplis ont leur raison d’être, autrement ils ne seraient pas; mais entre le fait, si bien expliqué qu’il soit, et le droit, dont l’image est gravée au fond de notre intelligence, il y a un intervalle immense que nul sophisme ne saurait combler : c’est là une vérité que la génération nouvelle ne doit pas oublier.

Cependant, malgré le reproche que je lui adresse et que je crois très mérité, la philosophie française de notre temps a rendu à l’intelligence humaine un éclatant service, en réduisant Helvétius et Condillac à leur juste valeur. Quant au danger qu’elle présente et que je viens de signaler, il a cela de particulier que la doctrine dont il fait partie nous offre le moyen de le prévenir ou de le combattre. Tout homme en effet qui comprend la vraie signification du spiritualisme n’hésite pas à placer le droit au-dessus du fait. Dans la philosophie de l’histoire, c’est-à-dire dans l’appréciation des événemens accomplis, il porte les convictions inébranlables du spiritualisme, et ne recule pas devant la victoire la plus éclatante. Il se range du côté de Herder, et se prononce hardiment contre Hegel. Ainsi la philosophie de notre temps, qui, après avoir relevé tant de courages par la réfutation du sensualisme, a légitimé tant de lâchetés par une déplorable interprétation de l’histoire, renferme en elle-même de quoi prémunir ceux qu’elle pourrait égarer : c’est assez pour assurer à notre temps une place éminente dans l’histoire de la philosophie. Le bienfait se place à côté du péril.

Nous sommes à peine séparés par quelques années du mouvement poétique de notre pays sous le gouvernement de juillet, et pourtant il nous semble que nous pouvons le juger comme s’il s’agissait d’un siècle éloigné. Depuis sept ans en effet, la plupart des voix qui parlaient si haut et qui occupaient la renommée de 1830 à 1848 sont devenues muettes. On dirait que les esprits éminens dont la foule se plaisait à répéter les noms se sont réfugiés dans le silence pour pressentir la postérité. A Dieu ne plaise que je désespère de mon temps et que je condamne le présent au nom du passé ! Cependant tout homme sincère est forcé d’avouer que les œuvres poétiques de la France, dans les sept dernières années, ne sauraient se comparer aux œuvres créées pendant la période dont je m’occupe. L’avenir, un avenir prochain peut-être, se chargera de réhabiliter la période nouvelle où nous sommes entrés. En attendant cette heure fortunée, rendons pleine justice à la génération dont les cheveux commencent à blanchir.

De toutes les formes de la pensée poétique, la forme lyrique est à mon avis celle qui, sous la monarchie de juillet, s’est le plus