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ou si, comme on l’a prétendu, le rivage de la mer avait été alors près de Serapeum, c’est évidemment vers ce dernier point qu’aurait été élevé le monument destiné à perpétuer le souvenir de cette entreprise. Je regarde donc comme incontestable l’assertion d’Hérodote, assertion qu’on ne peut contester en effet qu’à l’aide de textes plus récens de cinq siècles au moins, et écrits par des auteurs dont un seul, Strabon, de beaucoup le moins affirmatif, avait voyagé en Égypte.

Après avoir contesté, d’après Diodore, Strabon et Pline, l’achèvement du canal par Darius, on a été jusqu’à douter, sur l’autorité de Pline, que les Ptolémées eux-mêmes l’eussent jamais complété. Sur ce dernier point, l’assertion de Strabon me paraît si décisive, que je ne puis comprendre qu’elle ait été mise en question. Le texte de Pline est évidemment le plus incertain de tous; il écrivait soixante-treize ans après Strabon, et il n’avait pas vu les lieux que Strabon avait visités, et sur lesquels celui-ci donne les renseignemens les plus explicites.

D’après Plutarque, Antoine, arrivant à Alexandrie peu après la bataille d’Actium, trouva Cléopâtre occupée à faire franchir aux navires de sa flotte l’espace étroit qui sépare les deux mers, en les faisant charrier par-dessus l’isthme. Ce fait ne prouverait en aucune façon que le canal n’eût pas été achevé deux cent cinquante ans auparavant par Ptolémée Philadelphe; il prouverait seulement qu’on l’avait négligé et laissé encombrer. La bataille d’Actium a été livrée le 2 septembre (30 ans avant Jésus-Christ). Antoine, après l’avoir perdue, se retira pendant quelque temps dans la Cyrénaïque. Son arrivée à Alexandrie correspond par conséquent à la fin d’octobre ou au commencement de novembre, c’est-à-dire à une époque où les eaux du Nil étaient déjà en décroissance, et je montrerai plus tard que, pour peu que le canal eût été négligé, la partie voisine de Suez devait être impraticable hors le temps des crues. D’ailleurs Strabon, dont le témoignage est postérieur de quelques années à la bataille d’Actium, dit positivement que le canal débouchait de son temps dans la Mer-Rouge, à Arsinoé, autrement Cléopatris, et près d’Heroopolis, après avoir traversé les lacs amers, dont les eaux étaient devenues douces. Que peut-on demander de plus catégorique et de plus concluant? Comment contester après cela et l’achèvement du canal par les Ptolémées et la position d’Heroopolis dans le voisinage d’Arsinoé? N’en résulte-t-il pas qu’Heroopolis, Arsinoé ou Cléopatris, et probablement le Dancon de Pline, sont des villes placées successivement à l’extrémité de la Mer-Rouge, et qu’on a substituées les unes aux autres en les rapprochant de la mer, soit parce que la partie avancée du golfe s’encombrait, soit parce que les navires augmentaient d’échantillon et exigeaient un plus grand tirant d’eau? On