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donnant pour base les notes du 8 août. C’est là l’une des premières conséquences du rejet par la Russie des conditions qui lui ont été offertes à Vienne, c’est comme un défi indirect jeté à l’Autriche. L’Autriche va-t-elle aussitôt relever le gant? Peut-être, mais il n’est pas impossible non plus que le désir de ménager ses confédérés allemands et d’entraîner à sa suite cette masse si difficile à mouvoir, que l’espérance de préparer à la Prusse un moyen de rentrer dans le concert européen, ou de tenter par l’intermédiaire de cette puissance un dernier effort pour le rétablissement de la paix, ne suspendent pendant quelque temps encore l’action de l’Autriche. En tout cas cependant elle est engagée, et elle a donné aux puissances occidentales le droit de la mettre en demeure; l’obligation qu’elle a souscrite à leur profit est arrivée à échéance.

Pour ce qui est de la France et de l’Angleterre, il n’y a pas à discuter sur ce qu’elles ont à faire : pousser la guerre avec un redoublement d’énergie, avec tous les moyens dont elles peuvent disposer, c’est pour elles la seule conduite à tenir. L’expérience qu’elles viennent de faire encore doit leur prouver qu’il n’y a malheureusement pas d’autre raison de s’entendre avec la Russie que la force : c’est à la force seule qu’elle cédera. Au début de cette déplorable querelle, qu’avait-on obtenu, après une année de négociations et de prières de toute l’Europe, pour la conservation de la paix ? Rien que des refus hautains et le maintien de toutes les prétentions formulées dans l’ultimatum du prince Menchikof. On a fait du chemin depuis lors, et la Russie a beaucoup baissé de ton, cela est vrai; mais, qu’on le remarque bien, chacun des pas qu’elle a faits ou qu’elle a eu l’air de faire dans la voie de la modération a correspondu à une grande résolution, à un succès diplomatique, ou à une victoire des alliés. Elle est sourde à toute autre considération. Il faut la déclaration de guerre du 27 mars, le protocole du 9 et le traité du 20 avril 1854 pour lui faire abandonner le terrain de la fameuse note de Vienne et la prétention de traiter seule à seule avec la Turquie, pour qu’elle veuille bien savoir qu’il existe une conférence de Vienne. Il faut le traité de la Porte avec l’Autriche et l’échec de son armée devant Silistrie pour lui faire évacuer les principautés, et pour qu’elle fasse à l’Europe des ouvertures de négociation, inacceptables, il est vrai, mais qui constituaient un changement considérable dans ses allures, et qui emportaient comme conséquence le retrait de beaucoup de prétentions maintenues jusque-là avec une persistance extraordinaire. Aux ouvertures du comte de Nesselrode, l’Europe répond par les notes du 8 août, et le premier mouvement de la Russie, c’est de les repousser avec hauteur. Presqu’en même temps aussi les armées alliées débarquent en Crimée, et après l’Alma, après Inkerman, après