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essayant la première phrase d’une mélodie allemande posée sur le pupitre. Henriette se retourna vivement.

— Ah ! l’air de l’heureuse Veillée, s’écria-t-elle en se levant d’un bond, mon chant favori !

— Alors mademoiselle ne refusera pas de nous le faire entendre, dit Hermann.

— Tout de suite, reprit-elle. M. de Vaureuil n’a qu’à se mettre au piano.

— Pardon, fit observer celui-ci; mais il n’y a de noté que le motif, et je n’oserais improviser l’accompagnement.

La jeune fille regarda autour d’elle d’un air désappointé. — Mon Dieu! comment donc faire? dit-elle. Et subitement frappée d’un trait de lumière, elle ajouta en battant des mains : — J’y suis, nous avons ici l’homme qu’il nous faut, M. Franck...

— Notre hôte ! répéta M. de Vaureuil. Serait-il musicien ?

— Comment! vous ne savez pas que c’est lui qui tient l’orgue de Stanz, et qui a organisé les écoles de chant du canton? reprit Henriette vivement. Si M. Franck est musicien! vous allez en juger.

Et courant à l’hôtelier, qui rentrait dans ce moment : — Venez, venez, reprit-elle en le saisissant par le bras, il faut m’accompagner au piano.

— Moi! dit Franck étonné. Pardon, mademoiselle, mais il me semble que c’est le privilège de M. de Vaureuil.

— Pour cette fois, il vous le cède, dit rapidement la jeune fille; mettez-vous là, vite, vite. La basse manque, il faudra l’inventer. Vous connaissez l’air, c’est l’heureuse Veillée.

— Ah ! fort bien, dit l’hôtelier en jetant à la jeune fille un regard souriant.

Et s’approchant du piano, devant lequel il s’assit, il examina la musique ouverte devant lui, essaya le clavier d’une main hardie, puis regarda Henriette comme pour l’avertir qu’il était prêt.

La voix de celle-ci s’éleva presque aussitôt. Elle ne se faisait remarquer ni par l’étendue ni par l’éclat; son charme venait surtout d’une sorte de fermeté à la fois virginale et caressante; on eût dit le timbre d’une cloche d’argent amolli par la brise. Ce soir-là surtout, elle semblait avoir je ne sais quelle suavité émue, en chantant les douces agitations de l’attente. La jeune fille se troublait visiblement, quelque chose d’attendri vibrait au fond de son accent légèrement voilé; son haleine était plus pressée, son œil plus brillant; une rougeur de joie pudique colorait son visage, ses doigts distraits avaient détaché de sa ceinture un petit bouquet de cyclamens à demi flétris avec lequel ils jouaient sans s’en apercevoir. Or aucun de ces mouvemens n’échappait à Hermann. Assis dans l’ombre, à l’autre