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leurs attributs, expression de leur génie. Ainsi l’Espagne, alors si pacifique, se présente couronnée d’oliviers et portant l’or du Tage sur ses vêtemens; l’Afrique, embrasée des feux du soleil, a le front ceint des épis nourriciers qu’elle prodigue à Rome, puisqu’elle était la nourrice de l’empire romain ; un diadème d’ivoire est sur sa tête. La Gaule, toujours guerrière, relève fièrement sa chevelure et balance à sa main deux javelots. Enfin la Bretagne s’avance la dernière : elle a les joues tatouées, sa tête est couverte de la dépouille d’un monstre marin et ses épaules d’un grand manteau d’azur dont les plis flottans imitent les flots de l’Océan, comme si le poète avait vu de loin que cette Bretagne, alors si barbare, était destinée à avoir un jour l’empire des mers. Ainsi la diversité même était dans l’ordre établi par Rome pour le gouvernement de ses provinces.

Mais cette diversité était bien plus prononcée encore dans les résistances que les provinces opposaient opiniâtrement à l’administration romaine. En effet, la puissance de Rome ne s’était pas établie et maintenue sans rencontrer bien des résistances, bien des colères, bien des révoltes. Après les horreurs de la conquête étaient venues toute la perversité de l’exaction, toutes les persécutions du fisc. Dans chaque province, à côté du président qui était à la tête de l’administration civile, se trouvait le procureur de César, chargé de l’administration financière. Au seul aspect de ses licteurs, les populations des campagnes prenaient la fuite et les maisons des villes se fermaient, car le fisc romain avait des exigences insatiables. Il demandait d’abord la capitation, c’est-à-dire l’impôt sur la personne; ensuite l’indiction, l’impôt sur les biens; puis, dans les cas extraordinaires, la superindiction ou l’impôt imprévu; puis le chrysargyre ou impôt sur l’industrie; enfin, à l’avènement de l’empereur, l’or coronaire, don gratuit auquel on ne pouvait se soustraire impunément. Ces impôts, ainsi multipliés, étaient perçus avec une sévérité, avec une cruauté dont les historiens contemporains ont rendu témoignage. Les exacteurs, les contrôleurs du fisc, répandus dans les campagnes, pour prouver leur zèle et pour accroître leurs profits, pénétraient dans les habitations, vieillissaient les enfans, rajeunissaient les vieillards, afin de les porter sur leurs listes dans la catégorie des hommes de quinze à soixante ans qui devaient payer l’impôt. Là où la valeur des fortunes était difficile à connaître et à apprécier, ils mettaient à la torture les esclaves, les femmes et les enfans, pour connaître le chiffre réel de la fortune du père de famille. On ne pouvait pas s’attendre à voir les provinces supporter de bonne grâce des persécutions aussi inouies. Et vainement Constantin rendait-il des décrets pour arrêter les cruautés des agens du fisc, bientôt poussées à un tel degré, qu’après lui, les habitans de certaines provinces émigraient pour passer chez les Barbares, et allaient chercher sous l’abri des tentes des Germains une vie moins misérable que celle que Rome leur faisait à l’ombre des toits de leurs pères Ces haines, ces rancunes profondes, finissaient par éclater dans les paroles, dans les écrits des hommes éminens de chaque province. En Afrique, le vieil esprit carthaginois s’était réveillé. Le parti africain avait élevé à Annibal un tombeau en marbre, et de ses cendres devaient naître des vengeurs qui iraient à leur tour punir Rome, lorsque Genseric lèverait l’ancre et sortirait des ports de Carthage pour aller rançonner cette orgueilleuse capitale, alors déchue.