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Mais une idée venait de traverser l’esprit de la comtesse; elle était décidée à tirer parti de la présence du jeune étudiant; elle garda son sérieux. — Excusez-moi, répondit-elle froidement à M. de Vaureuil, je n’ai point assez d’esprit pour trouver l’enthousiasme ridicule; ce M. de Brenner me semble fort intéressant.

Comme Henriette, qui les rejoignit dans ce moment, cria que l’hôtelier du Selisberg donnerait sa propre chambre à M. Hermann, Mme de Stieven laissa échapper une exclamation de contentement qui força celui-ci à remercier. Elle répondit aussitôt de manière à continuer la conversation, si bien qu’il demeura près de sa litière, tandis que M. de Vaureuil, évidemment tombé en disgrâce, tâchait de se consoler en ralentissant le pas pour attendre le Genevois et sa pupille.

Celle-ci cependant était déjà retournée vers M. Franck, qui, retardé sans doute par son fardeau, demeurait assez loin en arrière. Il dut donc se contenter de l’entretien de M. Borris, qui, malgré tous ses efforts d’amabilité, le laissa silencieux et distrait. A chaque détour du sentier, M. de Vaureuil et Mme de Stieven retournaient la tête en même temps pour mesurer la distance à laquelle se tenait Mlle Bergel, et des expressions opposées perçaient sur leurs deux visages. Celui de la comtesse trahissait une satisfaction malicieuse, celui du Français un dépit impatient. Quant à Mlle Henriette, objet de ce double examen, elle ne semblait point y prendre garde. Son chapeau de paille suspendu au bras et ses beaux cheveux flottans en boucles le long de ses joues rosées, elle continuait à gravir la pente de la montagne en causant avec l’hôtelier. De temps en temps les voix arrivaient jusqu’à M. de Vaureuil, qui alors prêtait l’oreille pour écouter; mais il ne pouvait saisir qu’un murmure confus, entre coupé par le rire frais et timbré de la jeune fille.


II.

Lorsque, partant de Lucerne pour traverser dans sa longueur le lac des quatre cantons, vous avez dépassé Gersau, la rive gauche tourne brusquement vers le sud, et marque pour ainsi dire l’entrée d’un nouveau lac. C’est à ce coude vis-à-vis de Brunnen, où se signa la première ligue des cantons, et au-dessus de la prairie du Grütli, que se dresse le Selisberg. Les barques conduisent les voyageurs au petit port de la Treib, d’où commence l’ascension. L’hospice a été construit au premier ressaut de la montagne. Bien que sa situation soit loin d’offrir des beautés comparables à celles de l’hospice bâti près de la chapelle de Notre-Dame-des-Neiges, sur le Rigi, et que l’œil y embrasse un panorama moins varié, les voyageurs y étaient