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gardé le souvenir est un certain Krok, sans doute un des descendans de Samo, peut-être son successeur immédiat, car il vivait dans la seconde moitié du VIIe siècle ; mais comment la puissance de Samo s’était-elle amoindrie entre ses mains ? C’est ce que nulle induction ne peut faire conjecturer. La tradition le représente comme un riche et vénérable seigneur, un grand possesseur de fiefs, qui, renommé pour sa sagesse et sa probité, fut élevé à une sorte de magistrature supérieure par le peuple de Bohême. Krok laissa après lui trois filles, Kasa, Téta et Libusa, dont il avait cultivé l’esprit avec la tendresse d’un père et la prévoyance d’un roi. Rasa était initiée aux mystères de la nature ; elle savait les forces cachées des élémens, elle connaissait les vertus des plantes et excellait dans l’art de guérir. Le peuple voyait en elle une magicienne, une fée bienfaisante, et la grotte où elle se retirait aux bords de la Mies, pour se livrer à ses studieuses recherches, est restée un objet de vénération. Téta s’occupait des choses religieuses ; elle enseignait au peuple la nature des divinités qu’il adorait ; elle réglait le culte et les croyances. On voit encore aujourd’hui, non loin de la grotte de Kasa, un vieux château nommé Tètinn qui rappelle ce récit de la légende. La plus jeune enfin, Libusa, surpassait ses deux sœurs et par les dons du cœur et par les facultés de l’esprit. Elle semblait avoir hérité de toutes les vertus de son père. C’est à elle que le peuple assemblé remit le gouvernement de la Bohême. Libusa prit la direction des affaires publiques ; elle fut sage en ses desseins, équitable en ses arrêts, autant que ferme et prudente dans l’action. Chaste et gracieuse, vénérable et sympathique à tous, elle tenait une cour princière dans le château paternel de Wysehrad, occupée sans cesse de faire droit à son peuple. Si quelque péril menaçait l’état, les trois sœurs se réunissaient à Wysehrad et se prêtaient mutuellement assistance. Un jour cependant, deux jeunes seigneurs tchèques, à propos d’un procès d’héritage, ayant invoqué la justice de Libusa, celui que condamna la jeune fille s’oublia jusqu’à lui manquer de respect, jurant qu’il ne se soumettrait jamais aux décisions d’une femme. Bravée ainsi dans son autorité, Libusa songea d’abord aux intérêts de la Bohême ; elle abdiqua son pouvoir et remit à la nation de soin de se choisir un chef. Le peuple lui renvoya ce choix à elle-même, en la priant de prendre un époux qui serait le souverain des Tchèques. Le choix de la jeune femme s’arrêta sur Prémysl, seigneur de Stadic. L’ambassade qui vint en grande pompe offrir au seigneur de Stadic la main de Libusa et la couronne ducale de Bohême le trouva dans son domaine, la main à la charrue, labourant lui-même le champ qui a conservé le nom de Kœnigsfeld. Prémysl accepta avec joie le bonheur dont il se sentait digne ; il revêtit les insignes de son nouveau rang, monta à cheval, et