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l’écrivain, tout est ici d’accord. Ceux-là même qui plus tard surveilleront d’un œil inquiet cette résurrection d’une race encouragent en ce moment ces tentatives toutes littéraires. L’heure n’a pas sonné où les travaux des érudits, devenus le programme d’une lutte sanglante, provoqueront la défiance et la persécution ; nous en sommes encore à la période sereine de cette noble vie. M. Palacky a été en Italie, à Rome, à Naples, et bientôt à Munich, à Francfort, à Paris, comme l’ambassadeur d’une nationalité qui se relève ; il revient à Prague, et il publie au milieu de l’attente, de la sympathie et des acclamations de ses compatriotes, les premiers volumes de son Histoire de Bohême. Il faudrait se représenter tout ce qu’il y a de vivacité naïve et de facile enthousiasme chez ces imaginations toutes neuves pour comprendre le succès de l’écrivain. Mêlons-nous à la foule, et écoutons le récit du maître.


II.

Le premier volume de M. Palacky est divisé en trois livres, qui embrassent l’histoire de la Bohême depuis ses origines les plus lointaines jusqu’à la fin du XIIe siècle. La grandeur et la simplicité de l’ordonnance s’annoncent dès ce début. L’auteur procède à la manière des maîtres ; il sait choisir parmi les riches matériaux qu’il a rassemblés, et, se défiant de l’érudition inutile, il groupera les faits par grandes masses dans une composition harmonieuse. J’aime beaucoup le premier livre, consacré aux habitans primitifs de la Bohême, à ceux qui occupèrent ce beau pays plus de huit cents ans avant les Tchèques. Nous retrouvons là tout d’abord nos hardis ancêtres. Ces Celtes, qui tenaient une si grande place en Europe avant les accroissemens de Rome et l’invasion des Barbares, sont les premiers qui aient défriché le sol où devait régner saint Wenceslas. C’était une tribu active et belliqueuse, les Boïens, Boï, un des plus vigoureux rejetons de la grande famille dont les Gaulois formaient le centre. Les Boïens avaient pris part à l’expédition des Gaulois contre Rome. Une fois lancés loin de leur pays, ils continuèrent leur course : les uns occupèrent d’abord une partie de l’Italie du nord ; les autres, remontant les côtes de l’Adriatique, envahirent les contrées qui devaient être plus tard la Germanie. Cela se passait environ 400 ans avant Jésus-Christ. En Italie, Bologne (Boïonia, Bolonia) a gardé leur souvenir, et le pays des Tchèques, en Germanie, porte encore le nom des compagnons de Brennus. Tacite l’a dit, et la science ethnographique de nos jours a confirmé son opinion : Manet adhuc Boihemi nomen, significatque loci veterem memoriam quamvis mutatis