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polémique, de 1827 à 1837, M. Palacky ne perdit pas de vue un seul jour le monument qu’il avait promis à son pays, et qui déjà s’élevait dans sa pensée. Il posait les assises de son œuvre, il en publiait des fragmens, et si quelques Slaves fanatiques, irrités de la loyale sincérité de sa science, lui reprochaient parfois de manquer à ses devoirs de citoyen tchèque, l’opinion publique, on peut le dire, confirmait de jour en jour le sérieux mandat qu’il s’était donné. Cette sympathie et cette attente unanimes reçurent bientôt une éclatante consécration : les états de Bohême, à la diète de 1829, lui conférèrent le titre d’historiographe national avec un traitement annuel qui devait durer toute sa vie. Cette décision des états ne put être immédiatement exécutée : l’empereur François, qui régnait alors sur l’Autriche, considérait d’un œil défiant ce travail des races au sein de l’empire et cherchait à l’étouffer sourdement. Plus tard un autre principe prévalut : M. de Metternich, avec sa spirituelle finesse, comprit tout le parti qu’on pouvait tirer de ces prétentions des races rivales afin de les neutraliser l’une par l’autre, et l’historiographe de Bohême fut officiellement revêtu de son titre et de ses fonctions.

Au reste, reconnu ou non par le cabinet de Vienne, l’historien élu par les représentans de son pays continuait vaillamment sa tâche. Il notait dans le Journal du Musée les résultats de ses recherches ; il y insérait maintes études pleines de précision et de lumière sur les points obscurs de son sujet ; c’étaient tantôt des détails caractéristiques, tantôt des monographies complètes. Parmi ces nombreux écrits qui attestent la consciencieuse préparation de l’historien, je signalerai au premier rang son Appréciation des Chroniqueurs de la Bohême. La Société des sciences de Prague avait mis ce sujet au concours en 1826 ; elle demandait, outre des renseignemens biographiques sur les chroniqueurs, une étude détaillée et une scrupuleuse critique de leurs travaux. L’étendue de ce programme effraya sans doute les vaillans érudits de la Bohême ; nul ne se présenta dans la lice. Un délai fut accordé, et M. Palacky, impatient de justifier la distinction que venaient de lui décerner les états, se mit courageusement à l’œuvre. Son mémoire, le premier grand ouvrage qu’il ait donné à son pays, fut couronné avec acclamations en 1829 et publié l’année suivante aux frais de la société. C’était plus qu’une promesse et un gage ; un véritable historien s’était révélé.

Déjà, en 1824, avant de commencer ses études sur le XVIe et le XVIIe siècle, l’habile peintre de la société germanique et romane, M. Léopold Ranke, avait publié cette Critique des Historiens modernes qui devait être pour lui un guide si lumineux et si sûr ; M. Palacky a marché avec bonheur sur les traces de l’écrivain allemand. Je ne le compare pas à M. Augustin Thierry ; les