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la caravane peut voyager avec des chances de pluie est donc renfermée dans une série de onze ans sur trente-trois. Durant ces onze années, les pèlerins souffrent assurément plus que lorsque les voyages se font au temps des chaleurs, parce que le chameau avec la sole de son pied, molle et non cornée, ne trouvant pas de points d’appui suffisans dans des terres boueuses et glissantes, tombe à chaque pas au grand dommage des pèlerins, des bagages et des marchandises dont il est chargé. Qu’on se figure trois ou quatre mille chameaux tombant alternativement, se relevant, se blessant, les pèlerins qu’ils portent contusionnés ou au moins couverts de boue; qu’on se figure ensuite au retour les plaintes de plusieurs milliers de fidèles se désolant, se lamentant, et l’on concevra qu’il se soit trouvé des kalifes et des sultans qui aient rêvé l’établissement d’une chaussée pavée. Par malheur, ainsi que je l’ai dit, la série des onze ans une fois passée, les plaintes cessaient, et l’on pensait à autre chose. Si les pèlerins avaient continué à se plaindre, il en eût été tout autrement. Sait-on ce que c’est qu’un musulman qui a visité La Mecque? C’est un homme entouré des plus grands respects. Lorsqu’il quitte son pays pour entreprendre le pèlerinage, la population l’accompagne avec émotion comme un prédestiné; au retour, la population va à sa rencontre et lui fait une ovation plus grande encore, le saluant du titre de haggi (pèlerin), qui désormais sera toujours, par les autres et par lui, accolé à son nom. Il s’appelait Aly, on ne l’appellera plus que Haggi-Aly; il se nommait Souliman, on ne l’appellera plus que Haggi-Souliman ; il a enfin acquis le droit envié de porter le turban vert.

Le départ de la caravane de La Mecque a été déjà décrit bien des fois, et j’ai d’abord hésité à en faire une description nouvelle; mais ce que d’autres en ont raconté se rapporte plutôt au départ de Constantinople et du Caire qu’au départ de Damas[1]. Ce que je vais en dire aura d’autant plus de chances de paraître nouveau, que, selon les lieux, le cortège change d’aspect en changeant de personnel; puis je crois avoir à donner sur ce pèlerinage des détails que d’autres n’ont pas connus jusqu’ici, et qui pour la plupart sont ignorés de la Pote elle-même.

Les musulmans, on le sait, se rendent à La Mecque pour y célébrer le Courbam-Beyram (la fête des sacrifices), fête pendant laquelle chacun des fidèles doit immoler, ou faire immoler sur la montagne d’Arafat au moins un mouton, et il en est qui, pour manifester plus hautement leur piété, en sacrifient jusqu’à cent. C’est là, on le

  1. Cependant des pages intéressantes sur ce dernier départ ont déjà trouvé place dans la Revue; voyez, dans la livraison du 1er avril 1854, Damas, Jérusalem et la Mecque.