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REVUE DES DEUX MONDES.

— Je vais d’abord écrire le billet.

Sur une feuille de son agenda de poche, don Cicillo traça ces mots au crayon : « Quand vous seriez cardinal-neveu, je m’estimerais encore aussi grand seigneur que vous. Croyez-moi, quittez ces airs de pacha. L’affaire dont je viens vous entretenir ne soufre aucun délai, et je vous avertis que vous donnez de graves sujets de colère à une personne capable de se venger. »

Le Transtevère empoche la pièce de monnaie blanche et partit avec le billet. Au bout de cinq minutes, il rapporta la réponse suivante : « Seigneur Francesco, je ne reçois jamais de leçons ; mais si vous souhaitez que je vous en donne une, je suis a vos ordres. Dans le cas où il vous conviendrait de vous couper la gorge avec moi demain matin, dép écher vous de me le faire savoir. »

Cette réponse sans ambages eut la vertu que les médecins attribuent à la douche d’eau froide. Cicillo en lut la première phrase dans l’antichambre, la seconde sur les marches de l’escalier, et la troisième dans la rue.

— Un duel ! se dit-il, doucement ! Je n’ai pas envie de me faire exiler, emprisonner, ou, pis encore, estropier par mon adversaire. Le chevalier s’est trompé : je l’ai menacé du courroux de la comtesse et non du mien. Sa réponse est une provocation, et je la repousse avec horreur. Les peines les plus sévères frappent le duel dans les états de notre saint père. Si l’amour d’Elena peut m’entraîner jusqu’au crime, du moins je ne commettrai pas celui-là. Mais à présent que dirai-je à la comtesse ? Comprendra-t-elle la prudence de ma retraite et la sagesse de mes motifs ? Elle va m’accabler de son mépris. Sainte Vierge, inspirez-moi quelque stratagème dans l’intérêt de la justice et de la religion !

La nuit commençait à tomber. Les lueurs du soleil couchant teignaient de pourpre les dômes des églises, et la cloche de la Trinité-des-Monts sonnait l’Angelus. L’haleine tiède du sirocco avait déjà expulsé l’hiver, et la neige fondante faisait pleurer les toits. Avant d’arriver à la place d’Espagne, don Cicillo s’arrêta devant la madone de la via del Babbuino. Il lui sembla que cette douce image, au milieu de ses oripeaux et de ses fleurs fanées, lui souriait avec une tristesse compatissante. Don Cicillo récita un Ave Maria et sentit le calme rentrer dans son âme. Deux pifferari en guenilles, les jambes entourées de bandelettes, le manteau troué sur l’épaule, s’installèrent au pied de la niche pour donner une sérénade à la mère du Sauveur. Les sons criards de leurs cornemuses s’accouplèrent dans un chant simple et large. L’harmonie des accords, triomphant de la rudesse des instrumens, donnait à ce concert sauvage un caractère singulier de dévotion et de naïveté. Don Cicillo s’éloigna lentement, le menton incliné sur sa poitrine, pénétré de confiance dans