chez la comtesse. Son air ouvert et franc, son esprit vif, sa gaieté communicative inspirèrent à don Cicillo une sorte de malaise et d’impatience, une antipathis profonde et instinctive. De son côté, San-Caio fronça les sourcils en remarquant le ton familier du factotum. Il s’approcha d’Elena pour lui parler a voix basse, et Francesco entendit son petit nom de Cicillo prononcé alternativement par les deux interlocuteurs ; mais probablement la comtesse coupa court aux médisances, car la conversation se termina par des rires. Il était évident que le jeune dandy avait tenté maladroitement du perdre son rival dans l’esprit d’Elena.
Comme tous les êtres incomplets ou maladifs, don Cicillo avait des momens de perception vague et des éclairs de seconde vue, où, dans une confusion étrange des facultés de l’âme, sa mémoire lui rappelait des choses qu’il ne connaissait point, et son imagination lui montrait, sous l’apparence d’illusions fantastiques, d’autres choses qu’un esprit sain et clairvoyant eût devinées depuis longtemps. Le jour de sa première rencontre avec Joseph San-Caio, un de ces phénomènes psychologiques lui représente, au milieu des ténèbres de l’avenir, le chevalier et la comtesse gracieusement unis dans un embrassement amoureux. Cet odieux tableau l’importuna pendant quelque temps, lorsque personne à Rome ne soupçonnait encore San-Caio d’aimer Elena. Bientôt cet amour naissant donna des signes de son existence et devint le sujet des conversations. Tout le monde plaignit d’abord l’imprudent jeune homme, et puis un beau jour on ne le trouva plus si à plaindre. La vision fatale s’effaçait alors peu à peu dans l’imagination de don Cicillo ; elle disparut pour toujours lorsqu’il vit la santé, l’enjouement de la comtesse répandre l’allégresse dans sa maison et parmi ses amis. Elena daignait se moquer de Francesco avec une gaieté charmante. Touchée de la peine qu’il prenait à son service, elle voulut le soulager d’une partie de sa correspondance en écrivant elle-même beaucoup de lettres. Le secrétaire intime pouvait-il douter encore d’une préférence si marquée ?
On pardonne aisément à un adversaire vaincu. Don Cicillo, guéri de sa haine aveugle, faisait amitié avec San-Caio. Il aurait même trouvé que la comtesse ne rendait pas justice aut qualités aimables de ce nouvel ami, si une circonstance fortuite ne lui eût prouvé qu’elle savait gouverner équitablement et faire à chacun sa part. Souvent Elena envoyait son factotum chez les orfèvres à la recherche de bijoux rares et précieux. Un matin, Francesco découvrit dans une boutique du Corso une belle pierre dure montée en épingle et d’un élève de Dominique degli Camei. Il s’empressa de l’acheter conditionnellement et de la présenter à Elena, qui parut charmée de la trouvaille. Le marchand demandait cent écus romains (plus de