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REVUE DES DEUX MONDES.

Un jeune homme de taille moyeme, fluet, imberbe et pâle de visage, entra dans la chambre. Il posa son manteau sur une chaise et s’assit entre les deux vieilles dames en grelottant : — Bonne mère, et vous, cara zia, dit-il d’une voix flûtée, ne me grondez pas si je rentre tard. La comtesse m’a dicté des lettres, que j’ai portées-moi-même à la poste, et j’ai dû prendre le chemin le plus long pour revenir a la maison.

— Mon utils, répondit donna Susanna, on ne gronde plus un homme de votre âge, et on ne le chicane pas sur les heures. Rentrez à la maison quand cela vous convient. Je vous prie seulement d’être prudent et de prendre garde à votre santé.

Francesco regards sa mère avec étonnement, comme si ce langage indulgent eût été nouveau pour lui. — Vous trouvez peut-être, dit-il ensuite, que je porte sur moi une odeur de tabagie. La comtesse a permis aux jeunes gens de fumer dans son petit salon ; mais je n’ai pas touché un cigare.

— Fumez, si telle est votre envie, mon fils. Don Francesco Pissicoro jouit d’une liberté absolue dans ses actions, pas et démarches. Qui avez-vous vu au palazzo Corvini ?

— Deux membres correspondans de l’académie de la Crusca, le marquis Horace Paretti, qu’on appelle, je ne sais pourquoi, l’adonis romain, car je ne le trouve point beau, et quatre ou cinq autres jeunes gens qui ne méritent pas d’être nommés.

— D’où vient, demanda la tante Barbara, que la comtesse ne leur donne pas de lettres à porter ?

— On m’honore d’une confiance particulière.

— Que devient donc le cavaliere San-Caio ? dit la signera. Susanna.

— On ne l’a pointvu depuis trois jours au palais Corvini.

Les deux vieilles échangèrent un coup d’œil significatif.

— Soyez discret, reprit la mère, et ne vous vantez pas de la haute faveur que vous accorde la comtesse.

— Je ne vois pas, répondit Francesco, pourquoi j’en ferais plus de mystère qu’elle-même.

— Le mauvais sujet ! murmure la tante. Allons, mon neveu, buvez ce zambaion au sucre candi. Votre père l’ordonnait comme un préservatif de toutes les influences d’hiver. Couchez-vous là-dessus, et soyez au lit dans un quart d’heure. La nourrice ira border vos couverture.

Don Francesco but à petites gorgées la mousse brûlante du cordial milanais. Il embrassa ensuite les deux vieilles dames et monta dans sa chambre. Lorsqu’on n’entendit plus résonner ses talons sur les carreaux de faïence, la zia tira le cordon de la sonnette, et une paysanne à large taille, au visage cuivré, le panno sur la tête et les