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à sa porte. Mahomet fondait alors parmi les siens cette religion des jouissances matérielles et du sabre, qui de l’Arabie, dont elle achevait la conquête, devait déborder sur l’univers. Dès 622, le prophète s’était essayé contre l’Arabie romaine, mais sans succès ; vint ensuite la lutte d’Héraclius et de Khosroës, dont il attendit patiemment la fin, ne souhaitant la victoire à aucun et’tout prêt à se jeter sur le vaincu. Aussi, voyant la Perse plus qu’à moitié ruinée, il projetait une expédition contre elle lorsqu’il mourut en 632. Ce fut son successeur qui la fit : Abou-Bekr soumit l’Irac arabique et prépara la conquête de tout l’empire des Perses. En même temps il attaquait l’empire romain par les mains de Khaled, son général avant d’être, celui d’Omar, et Khaled enleva Bostra en 632, Damas en 634, Émèse en 636, et eut bientôt réduit sous le joug de l’islamisme la Syrie, la Mésopotamie et la Palestine. En 637 Jérusalem était prise, en 639 Memphis et Alexandrie. Rien ne résistait aux armes des khalifes ; tout cédait, tout courbait la tête devant les terribles exécuteurs de cette fatalité dont ils avaient fait leur dogme religieux. Les légions d’Héraclius, si héroïques en Perse, lâchèrent pied devant les musulmans ; son frère Théodore et ses autres généraux furent battus ; lui-même vit échouer contre eux et les combinaisons de sa science militaire et l’impétuosité de son courage. Quand il apprit la reddition de Damas, il s’écria : « La Syrie est perdue ! » et voulut sauver au moins des mains de ces autres infidèles la sainte croix, dont la délivrance lui avait pourtant tant coûté.

Il alla la chercher à Jérusalem pour la mettre à l’abri dans sa métropole, la reçut des mains du patriarche Sophronius, qui fondait en larmes ainsi que tout le peuple, et s’achemina vers Constantinople par la voie de terre, accompagné de l’impératrice, qui ne le quittait plus. Cet esprit si ferme et si prompt s’était affaissé sous le malheur ; ce génie s’était obscurci. Le vainqueur de Ninive était devenu pusillanime comme un enfant ; la vue de la mer lui donnait le vertige. Arrivé sur la côte d’Asie, en face de sa ville impériale, il s’arrêta dans le palais d’Hérée, où il séjourna longtemps, n’osant pas affronter, tout couvert d’humiliations et de défaites, les regards de cette foule qui pourtant l’aimait toujours. Lorsque, sur les instances du sénat, il se décida à partir, on dut construire pour son passage à travers le Bosphore un pont de bateaux, dont le plancher, revêtu de sable, simulait une route, et dont les côtés, garnis de branchages et de verdure, formaient comme deux grandes haies qui dérobaient l’aspect des flots. C’est ainsi que l’ombre d’Héraclius rentra dans Constantinople.