Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes ; il m’a semblé bon de vous en informer. Si vous consentez à évacuer votre ville, tous tant que vous êtes, avec un sayon et une chemise, j’arrangerai l’affaire près île Schaharbarz. : ce général est mon ami ; vous passerez dans son camp, et je me porte garant qu’il ne vous sera fait aucun mal. Quant à ce qui me regarde, je veux votre ville ; je la veux avec tout ce qu’elle renferme, et songez bien que vous n’avez pas d’autre moyen de sauver votre vie, à moins peut-être que vous ne deveniez poissons pour vous échapper dans la mer, ou oiseaux pour vous envoler dans l’air. Les Perses sont maîtres de l’autre rive du détroit, comme ceux-ci me l’assurent ; quant à votre empereur, il n’a jamais mis le pied en Perse, et il n’existe aucune armée qui soit à portée de vous secourir. — S’ils te l’assurent, ils mentent ! s’écria le patrice George dans un mouvement de noble colère ; une armée romaine est déjà entrée à Constantinople, et notre prince très pieux a si bien mis le pied en Perse, qu’il ne laisse pas pierres sur pierres dans leurs villes. » À ces mots, un des Perses hors de lui prit la parole et invectiva grossièrement le Romain. « Je ne prends pas tes insultes comme venant de toi, répliqua celui-ci avec mépris ; c’est le kha-kan qui me les adresse, car lui seul t’inspire l’audace de m’outrager. » Là-dessus un autre Romain dit au kha-kan : « Comment se fait-il que toi, qui as amené ici tant de troupes, tu aies encore besoin de l’aide des Perses ? — J’ai voulu seulement vous expliquer » répondit le barbare un peu troublé dans son orgueil, que les Perses, si je le désire, se joindront à moi, parce qu’ils sont mes amis. — Quoi qu’il en soit, ajoutèrent les ambassadeurs romains, nous ne quitterons jamais notre ville. Nous sommes venus ici sur ta demande pour parler de paix ; si ta n’as rien de plus à nous dire, hâte-toi de nous renvoyer. » Le kha-kan les congédia.

Pendant la nuit qui suivit cette bizarre conférence, des trirèmes romaines, postées pour épier le retour des ambassadeurs perses au camp de Schaharbarz, surprirent la nacelle qui les portait Leur sort ne fut pas longtemps incertain. Un d’entre eux eut la tête tranchée ; on coupa, les poings à un autre, et après lui avoir pendu au cou ses propres mains et la tête de son collègue, on le renvoya au kha-kan. Quant au troisième, amené sur une galère en vue du camp des Perses, il y fut décapité, et sa tête fut lancée à terre par une baliste avec un écriteau où on lisait : « Le kha-kan a fait la paix avec nous et nous a livré vos ambassadeurs ; en voici un que nous vous restituons, ne soyez pas inquiets des deux autres. » Malgré cet avertissement, qui lui faisait connaître que la mer était gardée, le kha-kan, pressé d’en finir, fit mettre ses barques à flot le dimanche matin pour procéder au transport des auxiliaires perses. Il comptait que le vent, qui s’était levé du nord et soufflait contre Constantinople,