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que son front s’en trouvait garni, et ses douze tours à roues, quand elles furent dressées en face du rempart, présentaient un aspect vraiment effrayant. Les Slaves, qui avaient été les constructeurs de cette artillerie de siège imitée des machines romaines, en étaient aussi les servans ; c’étaient eux en outre qui avaient fabriqué la flotte, qui l’avaient transportée, qui la gardaient dans les eaux du Barbyssus et qui étaient destinés à la manœuvrer. Le Slave, opprimé et encore résigné à la servitude, avait mis à la merci de ses maîtres asiatiques son corps et son intelligence, qui commençait à s’ouvrir. Tandis que le bélier battait la muraille en brèche, les Huns, armés de leurs grands arcs, faisaient par-dessus pleuvoir incessamment une grêle de traits qui balayait parfois le rempart ; mais les vides se comblaient aussitôt. Les assiégés de leur côté troublaient ces travaux par des sorties continuelles qui culbutaient les travailleurs et détruisaient leurs engins. Un matelot imagina contre les énormes tours des Barbares une machine défensive bien simple, mais d’un effet assuré. C’était un mât monté sur un plancher mobile qui suivait les tours ennemies dans leurs mouvemens en face du rempart. Sitôt qu’une d’elles s’arrêtait à proximité, le mât s’inclinait et faisait descendre, au moyen de poulies, une nacelle où se tenaient des hommes munis de torches allumées et de poix, qui versaient des torrens de flammes sur la machine, ou attachaient des brandons à ses flancs, et il était rare que la nacelle remontât sans laisser la tour embrasée. Quels que fussent les périls de ce combat aérien, on ne manqua jamais d’hommes pour le soutenir. Mû par le désir d’épargner l’effusion du sang, le patrice Bonus interpella plusieurs fois le kha-kan du haut de la muraille, l’engageant à se retirer et lui promettant, s’il rentrait dans le devoir, la continuation de sa pension et davantage encore ; mais le barbare n’avait qu’une réponse à la bouche : « Sortez de votre ville, abandonnez-moi tout ce que vous possédez, et rendez-moi grâce si je vous laisse la vie. »

Le 2 août au soir (c’était un samedi), le kha-kan fit demander à Constantinople quelques grands dignitaires romains pour conférer avec eux sur une proposition de paix : on lui en envoya cinq des plus qualifiés. À peine furent-ils entrés dans sa tente, que le kha-kan, sans leur adresser la parole, commanda à l’un de ses gens d’aller chercher « les trois Perses vêtus de soie, » qui attendaient dans un compartiment voisin, et ces hommes étant venus, il les fit asseoir à ses côtés, laissant debout devant eux et lui les hauts personnages, patrices ou clarissimes, qui représentaient l’empire romain. Interpellant alors les Romains avec une sorte de solennité : « Vous voyez ici, leur dit-il, une ambassade que j’ai reçue des Perses, et qui m’annonce que Schaharbarz me tient prêt là-bas un secours de trois mille