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déclara qu’il était prêt à reporter au kha-kan, dût-il la payer de sa tête, une réponse aussi fière qu’on la voudrait ; mais, comme il était homme consciencieux jusqu’aux scrupules les plus excessifs, il désira observer par lui-même ces moyens de défense sur lesquels on se fondait pour braver la guerre, et dont il devait en outre attester au kha-kan la réalité. Bonus le fit assister à une revue de la garnison, où il put compter douze mille cavaliers, sans parler de y infanterie, vraisemblablement plus nombreuse. Ainsi rassuré, le patrice retourna près du kha-kan, auquel il rapporta la réponse des magistrats, à savoir : que les Romains lui conseillaient en amis de ne s’approcher ni des murs ni du territoire de Constantinople. Ces paroles jetèrent le barbare dans un violent transport de colère ; il chassa l’ambassadeur de sa présence avec un geste ignominieux : « Va-t-en donc, lui dit-il, va périr avec eux, et répète-leur bien ceci : Il faut qu’ils me livrent tout ce qu’ils possèdent ; autrement je raserai leur ville, et j’emmènerai ses habitans en esclavage jusqu’au dernier. »

L’avant-garde avare, pendant ces pourparlers, se tenait dans son camp de Mélanthiade, n’osant faire aucun mouvement ; une faute des assiégés l’enhardit. Quelques cavaliers de la garnison, qui manquait de fourrage pour ses chevaux, sortirent accompagnés de valets armés de faux pour aller couper du foin dans la campagne. Aperçus par les Avars, ils furent chargés aussitôt, tués ou mis en fuite, et les Barbares profitèrent de ce petit avantage pour lever leur camp de Mélanthiade, tourner à droite Constantinople et le golfe de Géras, et pénétrer par le faubourg de Sykes jusqu’à la rive du Bosphore. La nuit venue, ils y allumèrent des feux auxquels d’autres feux répondirent de l’autre côté du détroit (c’était le signal de reconnaissance convenu entre les Avars et les Perses) ; puis les chefs des deux troupes communiquèrent au moyen de quelques barques enlevées sur la rive. Schaharbarz fit connaître qu’il était prêt à traverser le Bosphore dès que la flottille avare serait arrivée, et insista d’ailleurs pour que l’on commençât le siège au plus tôt ; mais le kha-kan n’arriva devant Constantinople que le 27 juillet, tant sa marche avait été lente. Il employa ce jour et le lendemain, soit à faire reposer ses troupes, soit à mettre à terre et à dresser son matériel de guerre, qui se composait de machines de toute sorte, soit à prendre des mesures pour déposer sa flotte en lieu sûr.

Le 31, à la pointe du jour, il développa ses lignes, qui se trouvèrent embrasser toute l’étendue de la ville d’une mer à l’autre, c’est-à-dire de la Propontide au golfe de Céras. Vue du haut des remparts, cette armée parut innombrable. « Il n’y avait pas, dit un poète grec témoin oculaire, il n’y avait pas là une guerre simple, mais multiple, — une seule nation, mais un assemblage de nations, différentes