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aussitôt par les armées de Khosroës, qui courraient à la défense de leur propre territoire, et qu’ainsi l’orient de l’empire se trouverait dégagé ; mais qu’adviendrait-il des provinces d’Europe ? C’est ce qui occupa mûrement l’empereur et son conseil. En jetant les yeux du côté de l’Italie, Héraclius se rassurait : les exarques de Ravenne entretenaient depuis longtemps déjà des rapports presque amicaux avec les rois lombards ; ils pouvaient les maintenir encore aux mêmes conditions, c’est-à-dire à prix d’or. Il ne fallait rien changer à cette situation pour l’instant. Quant aux Franks qui avoisinaient l’empire romain du côté de la Bavière, leur roi Chlothaire II, qui venait de réunir dans sa main toutes les portions de cette vaste monarchie, n’était rien moins qu’hostile à Héraclius, et les évêques, si puissans à sa cour, favoriseraient sans doute de tout leur pouvoir une expédition qui avait pour but de recouvrer la croix de Jésus-Christ. Voilà ce que pouvaient se dire avec raison l’empereur et son conseil ; mais quand leurs regards se portaient du côté du Danube sur ces Avars dont la cupidité, la turbulence et la mauvaise foi étaient proverbiales, leur sécurité diminuait. Rien, il est vrai, n’annonçait un mouvement prochain ni dans les plaines pontiques, ni dans les steppes de l’Asie occidentale, et la trêve qui existait entre les Avars et l’empire romain durait déjà depuis quatorze ans ; pourtant on n’osait compter sur une paix sincère, tant le souvenir de Baïan était présent à tous les esprits. Le caractère du kha-kan nouveau n’était guère fait non plus pour inspirer confiance. Afin d’observer les choses de plus près et d’amener ce kha-kan, s’il était possible, à des engagemens solides et durables, Héraclius envoya en Hunnie deux personnages de haut rang chargés de négocier avec lui un traité d’alliance sur de nouvelles bases : c’étaient deux hommes qui passaient pour clairvoyans et expérimentés, le patrice Athanase, honoré souvent de ces sortes de missions, et Cosmas, questeur du palais impérial. Avant de les suivre dans leur ambassade, je ferai une halte de quelques momens, et je reprendrai le fil de l’histoire des Avars où je l’ai quittée, c’est-à-dire à l’année 602, époque de la mort du kha-kan Baïan et de l’empereur Maurice.

On se rappelle l’état de détresse auquel le second empire hunnique était réduit au moment de cette double mort : Baïan vaincu cinq fois au-delà du Danube, ses quatre fils tués, et la Theiss franchie par les armées romaines. Une ou deux campagnes pareilles à celle-là auraient suffi pour expulser les Avars d’Europe ou du moins pour les cantonner dans quelque coin où il ne leur eût plus été permis de remuer : le meurtre de l’empereur Maurice les sauva. Parmi les accusations que les séditieux, et le centenier Phocas à leur tête, débitaient aux légions de Mésie pour les exciter contre ce prince et les entraîner