Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme sénateur du royaume, et s’il était sénateur, c’est que le sénat existait sans doute, et avec lui la constitution dont il était issu. La seule réponse qu’on pût lui faire, c’est qu’on était occupé à discuter une constitution nouvelle. Que sera cette constitution ? C’est un grand problème à résoudre. Il est douteux qu’elle soit un gage bien efficace de sécurité pour l’Espagne. Quant aux finances, le ministre actuel, M. Madoz, ne manque point certes d’activité. Malheureusement il réussit peu, et alors il en accuse les animosités acharnées à le discréditer et à le perdre. L’Espagne aurait cependant besoin de garder toute sa force et sa liberté d’action. Rien ne le prouve mieux que la conspiration qui vient d’éclater à Cuba. Le capitaine-général lui-même devait être assassiné. Les ramifications du complot s’étendaient dans toute l’île. Le général Concha a eu à montrer la plus grande énergie pour étouffer ces germes, et la tranquillité s’est rétablie peu à peu sous l’influence de ces premières mesures de répression.

L’Amérique du Sud, quant à elle, en est toujours à ses dissensions, a ses troubles et à ses révolutions : fruits amers des passions d’une race qui n’a su jusqu’ici se servir de la liberté et de l’indépendance que pour se déchirer et épuiser ses forces en de stériles conflits. Les événemens les plus réguliers et les plus favorables en apparence portent eux-mêmes cette triste empreinte. Dans une transmission légale du pouvoir ou dans une paix qui se conclut, il se révèle souvent plus de lassitude et d’impuissance que de vitalité féconde. N’en est-il pas un peu ainsi à divers points de vue dans le Venezuela et dans la république argentine, deux des contrées les plus agitées du continent hispano-américain ? Dans le Venezuela, l’autorité suprême vient de changer de mains ; elle est revenue au général Tadeo Monagas, frère ainé du dernier président, le général Gregorio Monagas. Le général Tadeo est entré en fonctions il y a peu de temps ; on s’est plu même à voir dans l’avènement du nouveau président le gage de quelque amélioration dans l’état du pays. Le général Tadeo Monagas cependant est celui qui en 1848 dispersait le congrès à coups de fusil, il est un des créateurs de cet étrange système de gouvernement qui se compose de démocratie et de beaucoup de dictature surtout. Pour que l’auteur du coup d’état du 24 janvier 1848 ait pu être considéré comme un réparateur, il faut certainement que son prédécesseur ait fait un singulier usage du pouvoir. C’est que dans le fait tout se réunissait pour signaler cette administration comme un idéal, même en Amérique… Violences, exactions, domination des plus mauvais instincts, désordres financiers, anarchie permanente, rien n’y a manqué. Les insurrections se succédaient naturellement, et elles ne faisaient que pousser à bout ce triste pouvoir. Le général Tadeo Monagas, qui a sauvé son frère plus d’une fois, passait pour lui donner des conseils qui n’étaient guère écoutés, et cela a servi son élection. Dans cette administration, qui vient de finir, il s’était produit un fait singulier et redoutable. Le général Gregorio Monagas, suivant son système démocratique et pour gagner un peu de popularité, s’était appliqué à favoriser les noirs. Non-seulement il avait fait proclamer leur affranchissement immédiat et universel, mais encore il les avait introduits partout. Les noirs étaient dans l’administration, dans l’armée ; ils étaient devenus un péril et une menace. Aux derniers momens même de la présidence du général Gregorio Monagas, dans cette espèce d’interrègne entre