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à la réalité et non à l’apparence. Les diamans peuvent briller sur des poitrines vicieuses, mais le calme de l’âme et la joie du cœur sont les récompenses de la vertu. Le coquin, l’homme de passions violentes, l’ivrogne, ne doivent pas être enviés, même lorsqu’ils prospèrent; car une conscience endurcie dans le péché est la chose la plus triste que nous puissions rêver. » Après avoir débité une série de sentences morales aussi nouvelles et aussi judicieuses, M. Barnum descendit de la chaire au milieu des félicitations de son auditoire. « Plusieurs personnes, dit-il, s’approchèrent, me serrèrent la main et me demandèrent mon nom, qui fut immédiatement couché sur leur calepin. » Et il ajoute avec une candeur qui va à l’âme : « Je n’avais pas grande opinion de mon sermon, mais je me sentais heureux en pensant que peut-être j’avais fais quelque bien, en ce beau jour du sabbat, dans ce charmant bosquet, théâtre de ma prédication improvisée. » M. Prudhomme aurait-il mieux parlé? Ces flots de doux et pieux sentimens s’échappent à chaque instant du cœur de M. Barnum. Son livre favori, c’est la Bible, qui ne l’a jamais quitté durant tous ses voyages, et qu’il a lue constamment sur le bateau à vapeur et en chemin de fer, dans les coins reculés de son muséum et dans la chambre voisine de la salle où Joice Heth était exhibée. Quel fidèle descendant des pilgrim fathers! Nous ne voulons pas mettre en doute la religion de M. Barnum; seulement une observation nous frappe, c’est que le diable lui-même, s’il veut réussir, est obligé de prendre les habitudes et le tour d’esprit des populations auxquelles il a affaire. M. Barnum l’Américain lit la Bible, improvise des sermons à des congrégations religieuses, et ne se permet pas le plus petit mot léger à l’endroit des mœurs. En France, un de ses confrères lirait Voltaire, serait parfait gentilhomme, parlerait de ses bonnes fortunes, et chercherait à être homme de bonne compagnie. Chaque peuple a ses mœurs, comme disait l’auteur de Candide.

Avec un esprit aussi souple, aussi fertile en ressources, M. Barnum ne pouvait jamais se trouver au dépourvu. L’homme qui était capable de prêcher un sermon était bien capable de rédiger un journal; c’est ce que fit M. Barnum lorsque fut dissoute la maison commerciale Taylor et Barnum, en 1831. M. Barnum avait alors vingt et un ans; il était dans toute la fougue de la jeunesse, ardent démocrate, et il voulut travailler pour son compte aux progrès du genre humain. Dans cette pensée, il fonda un journal intitulé le Héraut de la Liberté (the Herald of Freedom). L’Amérique était en proie à une fermentation religieuse qui effrayait M. Barnum et lui faisait craindre pour l’avenir. Cette frénésie religieuse avait, à ce qu’il paraît, une tournure sauvage : on se suicidait par piété, on assassinait par dévotion. Les ministres essayaient de devenir une puissance